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La chaîne Canal Plus perd-elle vraiment de l'argent?

Le portefeuille d'abonnés recule depuis la reprise en main musclée opérée cet été par le nouveau patron de la chaîne, Vincent Bolloré.

Les effets négatifs de la reprise en main de Canal Plus par Vincent Bolloré se poursuivent. Entre début juillet et fin décembre, le nombre d'abonnés en France métropolitaine a reculé de 3,6%, soit 218.000 de moins en 6 mois. À titre de comparaison, entre juillet et décembre 2014, ce nombre avait cru de 42.000 abonnés. A noter que ce sont des chiffres nets, qui font le solde entre les nouveaux abonnés recrutés et les abonnés ayant résilié leur contrat.

Ces chiffres inclus le bouquet CanalSat et l'offre illimitée CanalPlay. Cette dernière plafonne et perd même des abonnés pour la première fois: -160.000 abonnés entre octobre et décembre. Une explication est que les abonnés mobiles de SFR qui s'étaient vu offrir CanalPlay dans leur forfait l'ont perdu en décembre au profit du nouveau concurrent maison baptisé Zive. Au total, CanalPlay comptait près de 200.000 clients chez SFR, qui ont donc vocation à migrer vers Zive.

En outre, en 2015, le taux de désabonnement (churn) s'élève à 14,9% (en incluant Canal Plus et CanalSat mais pas CanalPlay), en hausse par rapport aux 14,5% de 2014. Concrètement, cela signifie que près de 850.000 abonnés à Canal Plus et/ou CanalSat ont résilié leur contrat l'an dernier.

Image écornée

Rappelons que, selon les études internes, un tiers des recrutements sont motivés par l'image de la chaîne. Or cette image a été écornée par le reprise en main musclée opérée par l'industriel breton. Ces études montrent aussi que le recrutement de nouveaux abonnés est corrélé aux audiences des tranches en clair. Or ces audiences sont en chute libre. Le Grand journal a ainsi perdu quasiment la moitié de ses fidèles (3,2% d'audience entre septembre et décembre, contre 5,6%). Au total, la part d'audience de Canal Plus est tombée à 2,4% sur les quatre derniers mois de l'année, contre près de 3% un an plus tôt. 

Cette hémorragie d'abonnés devrait logiquement se poursuivre. En effet, l'abonné ne peut résilier son contrat qu'à sa date anniversaire, soit une fois par an... Notons toutefois que le nombre d'abonnés chutait déjà avant la reprise en main par l'industriel breton.

Lourdes pertes

Mais ce n'est pas tout. Jeudi 18 février, le propriétaire Vivendi a affirmé que les chaînes Canal Plus (hors CanalSat et hors Canal Play) étaient en pertes depuis 2012, ce qui n'avait jamais été dit jusqu'à présent.

Selon Vivendi, ces déficits sont dus à "une forte érosion de la base d’abonnés depuis 2012", mais aussi à "l’arrivée de nouveaux entrants nationaux et internationaux dans le sport et la fiction, qui a fait s’envoler les prix des droits de diffusion des contenus, et a multiplié les offres concurrentes".

Le propriétaire a fixé un objectif de retour à l'équilibre en 2018, notamment en "développant le segment entrée de marché", c'est-à-dire des offres moins chères. 

Reste que l'annonce de ces pertes, visiblement destinée à charger la barque, est très surprenante, car ces chiffres ne correspondent pas du tout à ceux publiés par le passé. En effet, jusqu'à l'an dernier, la société qui éditait les chaînes Canal Plus était cotée en bourse, et publiait ses comptes. Son périmètre correspondait quasiment aux chaînes Canal Plus évoquées jeudi par Vivendi. En effet, leur chiffre d'affaires était quasiment identique (3% d'écart en 2014). En revanche, leur rentabilité est totalement opposée: en effet, cette société d'édition a toujours affiché de plantureux bénéfices (cf. encadré ci-dessous)... 

Ces chiffres ont surpris les analystes financiers. Pour Exane BNP Paribas, "il est très difficile de comprendre comment les chaînes Canal Plus ont perdu 264 millions d'euros en 2015. Comment a changé l'allocation des coûts par rapport à la Société d'édition de Canal Plus, qui publiait un bénéfice opérationnel de plus de 100 millions d'euros, avec un chiffre d'affaires similaire? De toutes façons, mettre en avant des pertes élevées présente l'avantage de mettre Vivendi dans une meilleure position vis à vis du gendarme de la concurrence dans l'examen de l'accord avec BeIn Sports. Présenter des pertes massives fait partie du jeu pour convaincre les autorités compétentes d'autoriser l'accord avec BeIn Sports". Même son de cloche chez Oddo: "ce discours anxiogène a des chances d'émouvoir le régulateur, ce qui maximisera les chances de Canal Plus d'arriver à ses fins".

Ces chiffres ont pareillement surpris en interne. "Nous ne comprenons pas d'où sortent ces pertes. Dans la comptabilité analytique interne, les chaînes Canal Plus ont toujours été bénéficiaires de plusieurs dizaines de millions d'euros par an", s'étonne un salarié. Pour lui, le seul moyen d'arriver à de telles pertes serait de faire supporter aux chaînes Canal Plus tous les coûts fixes mutualisés (centre d'appels, équipes marketing...), sans en imputer aucun à CanalSat.

Globalement positif

Dramatisant la situation, Vivendi a même affirmé que les pertes des chaînes Canal Plus "menacent l’ensemble du Groupe Canal Plus", et que Vivendi "n'a pas les moyens de supporter indéfiniment ces pertes".

C'est là encore assez surprenant. En effet, le Groupe Canal Plus dégage de plantureux bénéfices: en 2015, le bénéfice opérationnel ajusté est certes en recul de 22%, mais s'élève toujours à 454 millions d'euros. Explication: les autres activités du Groupe Canal Plus (CanalSat, StudioCanal, l'international...) sont très rentables. 

Projet d'accord avec BeIn Sports

Comme attendu, Canal Plus a annoncé un projet d'accord avec BeIn Sports. Selon un communiqué, "des discussions ont été engagées afin de nouer un partenariat sous la forme d’un accord de distribution exclusive. L’ensemble des chaînes BeIn Sports en France seraient disponibles en exclusivité dans les offres du Groupe Canal Plus. Cet accord porterait sur une durée de 5 ans".

Pour rassurer, le communiqué ajoute: "L’identité, la marque et l’autonomie éditoriale de BeIn Sports seraient préservées. Canal Plus et BeIn Sports continueraient à répondre en toute indépendance aux appels d’offre portant sur les droits sportifs. Il est de l’intérêt de tous les acteurs (fédérations, clubs, diffuseurs, etc.) que les compétitions sportives soient le mieux financées possible afin de proposer le meilleur spectacle aux foyers français".

Selon le Monde, il sera toujours possible de s'abonner à la chaîne sportive pour 13 euros, soit son prix de vente actuel en solo.

Les chiffres clés de Canal Plus

Le nombre d'abonnés (CanalSat inclus, professionnels et outremer exclus, en milliers)
Fin 2008: 6397
Fin 2009: 6184
Fin 2010: 6154
Fin 2011: nc
Fin 2012: 6117
Fin 2013: 6091
Mi 2014: 6020
Fin 2014: 6062
Mi 2015: 5964
Fin 2015: 5746

Le nombre d'abonnements (professionnels, CanalSat et CanalPlay inclus, outremer exclu, en milliers)
Fin 2008: 9639
Fin 2009: 9569
Fin 2010: 9720
Fin 2011: nc
Fin 2012: 9719 (dont CanalPlay: 156)
Fin 2013: 9534 (dont CanalPlay: 335)
Mi 2014: 9424 (dont CanalPlay: 520)
Fin 2014: 9463 (dont CanalPlay: 599)
Mi 2015: 9307 (dont CanalPlay: 700)
Fin 2015: 9072 (dont CanalPlay: 613)

Le taux de désabonnement (par abonné, CanalSat inclus, CanalPlay, professionnels et outremer exclus)
2008: 13%
2009: 12,3%
2010: 11%
2011: nc
2012: 13,8%
2013: 14,9%
2014: 14,5%
1er semestre 2015: 14,9%
2015: 14,9%

Source: comptes de Canal Plus France et Vivendi

Les résultats des chaînes Canal Plus (en millions d'euros)

Société d'édition de Canal Plus
Chiffre d'affaires
2012: 1878
2013: 1882
2014: 1830

Résultat opérationnel avant commission de distribution
2012: +338
2013: +214
2014: +188

Résultat opérationnel après commission de distribution
2012: +62
2013: +63
2014: +35

Source: comptes de la SECP

Les chaînes Canal Plus
Chiffre d'affaires
2012: 1840
2013: 1832
2014: 1779
2015: 1743

Résultat opérationnel ajusté
2012: -21
2013: -130
2014: -188
2015: -264

Source: Vivendi

Jamal Henni