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Hadopi: l'État condamné à payer les fournisseurs d'accès pour leur aide

Depuis cinq ans, les opérateurs ont identifié plus de 18 millions d'internautes à la demande de l'Hadopi

Depuis cinq ans, les opérateurs ont identifié plus de 18 millions d'internautes à la demande de l'Hadopi - Joël Saget AFP

Selon le Conseil d'État, la collaboration des opérateurs télécoms pour identifier les pirates doit bel et bien être rémunérée par l'État. L'ardoise dépasse aujourd'hui les 10 millions d'euros...

Depuis septembre 2010, l'Hadopi envoie des emails d'avertissement et des lettres recommandées aux internautes. À chaque fois, l'autorité de lutte contre le piratage récupère l'adresse IP de l'internaute concerné, puis demande au fournisseur d'accès quel internaute se cache derrière cette adresse IP. Depuis cinq ans, elle a ainsi envoyé plus de 18 millions de demandes d'identification aux opérateurs.

Factures impayées

Or, depuis cinq ans, les fournisseurs d'accès n'ont jamais été rémunérés pour cette tâche. Leurs multiples factures envoyées aux pouvoirs publics sont restées sans réponse... Pire: il n'y a toujours pas d'accord sur cette indemnisation.

Face à cette impasse, Bouygues Telecom a décidé de porter l'affaire en justice, précisément devant le Conseil d'État. Et la filiale du groupe Bouygues l'a emporté mercredi 23 décembre. 

La décision est d'autant plus importante qu'elle fait jurisprudence. Tous les autres fournisseurs d'accès sont donc concernés. Au total, l'ardoise aujourd'hui réclamée à l'État dépasse les 10 millions d'euros, dont 1,3 million d'euros pour Bouygues Telecom. Une somme qui s'ajoutera aux propres dépenses de l'Hadopi, dont le budget ne prévoit pas de payer les fournisseurs d'accès.

L'État hors la loi

Précisément, l'indemnisation des fournisseurs d'accès devait être précisée dans un décret, mais celui-ci n'a jamais été publié. Bouygues Telecom a donc exigé du gouvernement la publication de ce décret, mais en vain.

Mercredi, le Conseil d'État a relevé qu'"aucune disposition n'a été prise pour fixer les conditions de compensation des surcoûts des prestations assurées à la demande de l'Hadopi, comme le prescrit la loi". 

Surtout, les juges du Palais royal estiment que le gouvernement est hors-la-loi, et que ce décret aurait dû être publié depuis longtemps: "Le délai raisonnable au terme duquel le décret aurait dû être adopté a été dépassé". La haute juridiction a donc ordonné au gouvernement de publier ce décret sous six mois, faute de quoi une pénalité de 100 euros par jour lui sera infligée.

Maigre consolation pour l'État: le Conseil a rendu un sursis à statuer sur le paiement des factures, car Bouygues Telecom les a déposées un peu trop tard...

Tout travail mérite salaire

Sur le fond, les fournisseurs d'accès estiment que tout travail mérite salaire. Et ils s'appuient sur une décision du Conseil constitutionnel de 2000 concernant les écoutes téléphoniques. Selon cette décision, une telle tâche "est étrangère à l'exploitation des réseaux de télécoms. Dès lors, les dépenses en résultant ne sauraient incomber directement aux opérateurs".

Bouygues Telecom demande donc à être payé la même somme que l'État lui règle lorsqu'un juge lui demande d'identifier un abonné. En la matière, un barème existe qui fixe la somme par décret: 0,65 euro par demande jusqu'en mars 2012, puis 0,80 euro après.

À cela s'ajoute le coût de la mise en place initiale du système d'identification. Bouygues Telecom l'évalue à 270.000 euros. Chez Orange, ce coût avait été estimé à 10 millions d'euros. Enfin, et non des moindres, l'État devra aussi payer des intérêts de retard...

À noter que Bouygues Telecom a aussi porté plainte contre l'Hadopi devant le tribunal administratif. Et, selon NextInpact, Free a aussi engagé des demandes de remboursement devant la justice administrative. 

Les atermoiements du gouvernement

Depuis cinq ans, les gouvernements successifs ont eu des discours à géométrie variable sur le sujet, refusant totalement de payer un jour, puis en acceptant le principe le lendemain, mais sans jamais mettre la main au portefeuille.

Par exemple, en 2009, Christine Albanel, première ministre de la Culture de Nicolas Sarkozy, avait accepté le principe d'une compensation. Mais en 2010, son successeur Frédéric Mitterrand avait dit l'inverse: "On ne remboursera pas les coûts"...  Avant de dire l'inverse l'année suivante. Puis, en 2013, la Rue de Valois avait déclaré à NextInpact que ce serait à l'Hadopi de payer...

De son côté, le gendarme des télécoms Arcep a estimé que les fournisseurs d'accès avaient bien droit à une indemnisation.

Jamal Henni