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Michelin signe-t-il l'arrêt de mort du pneu neige?

Le bibendum a dévoilé en grande pompe ce 2 mars sa dernière innovation: le Cross Climate, censé combiner les performances des pneus été et hiver. Le marché potentiel est gigantesque.

Faut-il croire à une révolution dans le monde du pneumatique? C'est ainsi que Michelin présente sa dernière innovation ce lundi 2 mars. A la veille de l'ouverture du salon automobile de Genève -et de la fashion week parisienne- le Bibendum avait convié les journalistes à un show qui empruntait les codes des défilés de mode.

Pianos et violons, catwalk en forme de route, des journalistes de part et d'autre du podium assistent à la procession d'hologrammes de pneus aux rainures étonnantes, roulant sous la pluie, la neige, les pétales de fleurs. Apparaît enfin le président du groupe, Jean-Dominique Sénart, à la manière du désigner qui salue le public. Il annonce le lancement du "Cross Climate", censé combiner "le meilleur de l'hiver et le meilleur de l'été dans un même pneu", s'enthousiasme-t-il.

Michelin crée un segment de marché

"Mesdames et messieurs, vous venez de découvrir en avant-première le premier pneu conçu pour faire face aux aléas climatiques. Il offre les avantages d'un pneu été Michelin en termes de sécurité et de longévité, et ceux d'un pneu hiver en matière de motricité et de freinage", explique le président du groupe.

Attention, il ne faut pas confondre ce pneu avec les "all season", que fabriquent tous ses concurrents, souligne Jean-Dominique Sénart. Ces modèles "tentent de réaliser des compromis", mais leurs performances restent "nettement inférieures à celles des pneus été sur le freinage sur sol sec, la durée de vie, et le rendement énergétique", explique-t-il encore. "Je n'aurais pas osé vous déranger pour le lancement d'un tel pneu", ironise-t-il. Ici, Michelin "inaugure un segment de marché"! Ce pneu fonctionne que la température se situe au-dessus ou en dessous des 7 degrés, promet la marque, qui dit l'avoir testé à des températures de -30 degrés, et jusqu'à +40 degrés.

Une innovation pour le marché européen

Le modèle sera lancé en Europe en 23 dimensions, dès le 1er mai, de quoi couvrir "70% du parc européen", avant de nouvelles déclinaisons jusqu'en 2016. Pourquoi l'Europe uniquement? Outre la météo du vieux continent, certains pays y imposent des pneus hiver entre octobre et avril. Comme en Allemagne, où "les compagnies d'assurance exigent des pneus neige dès que la température passe sous les 7 degrés", explique Pierre Bergeron, analyste du secteur à la Société Générale. Justement, le Cross Climate répond "indiscutablement" à la définition du pneu hiver, assure Jean-Dominique Sénart.

En France, de telles règles n'existent pas. Et la contrainte coûteuse que représente le changement de pneu n'incite pas les usagers à s'équiper. Ce qui donne lieu, comme on l'a vu encore ce week-end, à des bouchons monstrueux notamment provoqués par des accidents de véhicules dont les pneus ne sont pas adaptés au temps froid. Plus globalement, en Europe, 65% des automobilistes utilisent des pneus été toute l'année, assure Michelin. 

Le groupe auvergnat, qui a connu une difficile année 2014, tape ainsi un grand coup. Le marché européen "représente 300 millions de pneus, dont 80 millions de pneus hiver", souligne le groupe.

Quid de sa longévité? 

Un potentiel important, certes, mais "seulement dans le nord de l'Europe, et si les hivers y retrouvent une certaine rudesse", note Pierre Bergeron de Société Générale. L'analyste regrette en outre que, pour le moment, on n'ait peu d'informations sur les "qualités de longévité du Cross Climate". Or c'est là tout l'enjeu: "les pneus hiver s'usent beaucoup plus vite que les pneus été, c'est ce qui freine les ventes", continue-t-il. Donc Michelin opère un "grand pas en avant", mais à condition que son pneu "combine adhérence et longévité".

En outre, le groupe ne risque-t-il pas de se cannibaliser lui-même sa branche pneu neige, une branche sur laquelle les marges sont plus élevées? Le patron du groupe botte en touche: "on ne perd jamais lorsqu'on répond aux attentes des consommateurs"! Surtout, rappelle Jean-Dominique Senart, ceux qui roulent dans des conditions extrêmes, de la neige profonde ou sur la glace, "devront toujours utiliser la gamme Michelin alpin". Reste qu'une "majorité des consommateurs trouvera une réponse à ses besoins avec le Cross Climate".

Quant à son prix, il se situera "entre celui d'un pneu été et celui d'un pneu hiver". En somme, un coût "abordable", indique Jean-Dominique Senart. Une recherche sur internet montre qu'un pneu été coûte, pour des voitures type citadine, entre 50 et 70 euros, contre 60 à 90 euros dans sa version hiver.

Michelin prend ses concurrents de vitesse

Bonne nouvelle en tout cas pour l'emploi en Europe et en France. Le groupe, qui inaugurera en 2017 un nouveau centre de recherche technologique à Clermont Ferrand, prévoit de produire les versions dédiées au 4x4 et aux SUV, "un segment en forte croissance", dans l'Hexagone. Plus précisément dans son usine de Cholet, à proximité de Nantes.

Michelin explique par ailleurs que ses équipes dédiées à la R&D avaient pour mission d'aller vite. Elles auraient mis 36 mois pour développer cette technologie. Le groupe prend ainsi de vitesse ses concurrents, qui se penchent eux aussi sur ce segment. Le Finlandais Nokian Tyres a annoncé la semaine dernière le développement de pneus à clou rétractables, aussi efficaces en hiver qu'en été. Mais ses coûts de production encore trop élevés retardent d'autant leur commercialisation. 

Nina Godart