Nos startups se font racheter, est-ce si grave ?

Contrairement aux idées reçues, la reprise des jeunes pousses les plus matures par de grands groupes étrangers peut accélérer leur développement. La multiplication des rachats met toutefois en évidence les problèmes que rencontre l'écosystème numérique hexagonal.
Capptain rachetée par Microsoft, Mesagraph par Twitter, La Fourchette par TripAdvisor... Il ne se passe quasiment pas un mois sans qu’une ou plusieurs startups françaises ne se fassent racheter par une entreprise étrangère et très souvent américaine (voire Allemande ou Japonaise). Si la première réaction peut être de regretter que ces startups ne restent pas dans le giron hexagonal, ces rachats présentent aussi des avantages.
« En soi, ces acquisitions sont des investissements en France, et constituent un axe de développement du financement de notre économie. Mais la question est de savoir ce qui se passe après », avance Paul-Francois Fournier, directeur de l'innovation de Bpifrance. Autrement dit, tout dépend de ce que deviennent les structures après les rachats. Selon la maturité de la structure et son domaine d’application, les réalités peuvent être très différentes. « Dans le secteur des medtech, les acteurs américains sont grands et puissants. Les technologies qu’ils rachètent sont souvent délocalisées, car les startups n’ont pas la taille critique suffisante et qu’il n’y a pas de consolidateur en France, mais dans le logiciel les choses sont différentes ».
Des acquisitions bénéfiques pour les structures de taille importante

Pour les sociétés les plus avancées, être soutenu par un grand groupe international peut contribuer à son développement, notamment celui de sa R&D. C’est le cas notamment de PriceMinister, racheté par le japonais Rakuten en 2009 pour 200 millions d’euros et qui vient d’ouvrir un centre de R&D européen à Paris. « Sans l’investissement important apporté par Rakuten, nous n’aurions pas pu acheter la société de logistique ADS basé à Beauvais » ajoute Olivier Mathiot, cofondateur de PriceMinister et président de l'association France Digitale. Plus récemment Adobe a racheté Neolane pour 600 millions de dollars, qui devrait continuer à se développer localement. « Neolane a accès non seulement au réseau de distribution d’Adobe, mais aussi à des technologies qui vont lui permettre de développer ses produits », assure Paul-François Fournier.
Les sociétés peuvent avoir tout intérêt à rester en France pour bénéficier notamment du Crédit d’impôt recherche (CIR). « Les dispositifs de soutien à l’innovation, les actions de Bpifrance, la densité de notre écosystème innovant et entreprenarial, nos pôles de compétitivité contribuent à susciter un intérêt durable pour la France », rappelle Paul-Francois Fournier.
Au niveau de l’écosystème numérique français, « ce qui compte ce sont les technologies maitrisées en France et l’emploi qualifié, plus que la nationalité des actionnaires », soutient, de son côté, Thierry Weil, professeur à Mines Paristech et délégué du Think Tank La Fabrique de l’industrie. Les acquéreurs sont souvent intéressés par certaines compétences et n’ont du coup pas forcément intérêt à liquider la structure, ni même à essayer de rapatrier les nouveaux collaborateurs au siège en courant le risque de les perdre. « Dans nos univers numériques, il n’y a pas vraiment besoin de rapatrier les gens. Nous fonctionnons en réseau avec des salles de visioconférence qui nous permmettent de faire des réunions avec les États-Unis et le Japon », note Olivier Mathiot.
Les acquisitions peuvent donc être synonymes de maintien de l'emploi voire de recrutement. « Au moment du rachat d’Ilog, les actionnaires étaient en train de demander une réduction de 30 % du nombre de salariés ce qu’a empêché IBM. Après le rachat, les effectifs ont au contraire beaucoup augmenté », se souvient Thierry Weil. Même chose chez PriceMinister, dont les effectifs sont passés de 180 à 250 depuis le rachat et qui a en plus effectué des rachats localement. « Quand une startup est rachetée et que l’activité reste en France cela permet de créer des success-stories qui stimulent l’écosystème » se félicite Thierry Weil.
Mais toutes les acquisitions sont loin d’être réussies et la promesse n'est pas nécessairement tenue sur le long terme. « Quand les acquisitions se font sur des entreprises de plus petite taille, les structures ne sont pas toujours suffisamment développées en France et les rachats peuvent aboutir à des délocalisations », déplore Paul-François Fournier. L’acquéreur récupère alors les brevets, la technologie et rapatrie certaines personnes au siège, mais la structure n’existe plus réellement en France. Or, les rachats de petites structures sont très nombreux (voir l'encadré en fin d'article pour quelques petits rachats en début d'année).
Réussir à faire grossir les startups françaises

La vraie problématique est donc de réussir à faire grandir suffisamment les startups ainsi que l’écosystème numérique. Mais la France rencontre, pour l’instant, trois problèmes principaux au niveau de ses grandes entreprises, des fonds d’investissement et de la Bourse.
« D’abord, les grandes entreprises françaises valorisent mal les sociétés. Elles cherchent donc à les racheter trop peu cher et perdent des opportunités », regrette Olivier Mathiot. Les grands groupes étrangers sont, eux, capables de proposer un prix supérieur aux actionnaires. « Au moment du rachat de PriceMinister, les groupes français valorisaient notre société quatre ou cinq fois moins que le japonais Rakuten », se souvient Olivier Mathiot.
Les grandes entreprises françaises notamment du CAC40 et les Entreprises de taille intermédiaire (ETI) font beaucoup moins d’acquisitions que leurs homologues anglaises et allemandes ce qui est problématique. La France se situe ainsi en quatrième position en nombre d’acquisitions au niveau européen, ce qui n’empêche pas certaines exceptions, comme Webedia détenu par la société Fimalac qui multiplie les acquisitions parfois très bien valorisées comme le site Jeuxvideo.com racheté pour 90 millions d’euros début juin.
« Pour tenter d’inverser la tendance, nous avons créé le programme Connect », ajoute Paul François Fournier. Un programme qui, comme son nom l'indique, met en contact des startups avec des grands groupes. Pour un grand groupe racheter une startup est très différent culturellement de racheter un concurrent que ce soit en termes de valorisation ou d’intégration, mieux vaut y être préparé. D’autres initiatives existent pour tenter de changer les choses comme celles de France Digitale.
En plus d’avoir des grandes entreprises trop frileuses, les startups ne grossissent pas assez pour devenir des consolidateurs de leur secteur, autrement dit des acteurs qui achètent d’autres sociétés. « Il faut que nous ayons des acteurs de taille suffisante autour du numérique, des medtech, de l’internet des objets. Criteo est en train de devenir un “consolidateur” autour du ciblage publicitaire et du big data, ce qui est très positif. Mais il en faudrait d’autres », explique Paul-François Fournier.
Ensuite, niveau capital-risque, la France est plutôt bien dotée, l’écosystème hexagonal de financement est deuxième en Europe derrière le Royaume-Uni. Mais nous manquons de fonds « late stage », qui interviennent à des étapes de développement supérieur des sociétés et qui peuvent investir pour les accompagner dans leur développement en ETI. « Sans eux, les entreprises se vendent trop tôt et se limitent à l’international. PriceMinister était ainsi parti un peu trop tard à l’international, alors que c’est fondamental », se souvient Olivier Mathiot, qui ajoute « mais à l’heure actuelle, la dimension internationale est nativement incluse dans beaucoup de projets ».
C’est notamment pour résoudre ce problème qu’a été créé le fonds Large Venture de Bpifrance. « En complément du Fonds Large Venture, nous travaillons, dans le cadre de notre activité dite de fonds de fonds, avec d’autres investisseurs pour les aider à atteindre une taille suffisante qui leur permettra d’investir des tickets supérieurs à 10 millions d’euros », explique Paul-François Fournier.
D’autres tentent de rendre la France plus attractive pour les investisseurs américains, notamment l’association France Digitale dont Olivier Mathiot est l’un des fondateurs. « Ce qui nous manque en France, c’est de l’argent, les plus grands fonds d’investissement ne sont pas en France », explique Olivier Mathiot. De fait, les levées de fonds auprès de fonds internationaux, comme celle de 100 millions de dollars de Blablacar, valorisent les sociétés et aident à les accompagner pour leur déploiement à l’international.
Enfin, « nous n’avons pas de vraie Bourse de valeurs technologiques » regrette Olivier Mathiot. Le marché boursier français et européen n’est pas très favorable aux startups. « Il y a peu d’analystes pointus en France contrairement au Nasdaq américain » complète Thierry Weil. Or ces analystes créent la confiance nécessaire pour que des investisseurs potentiels achètent les actions de l'entreprise. « Si nous avions une masse d’analystes suffisante, cela rendrait moins improbables les entrées en bourse. Mais le fait qu’il y ait beaucoup d’entreprises en France d’un gabarit suffisant montre que la situation pourrait évoluer dans le bon sens », poursuit Thierry Weil.
De fait, « ce semestre, les sommes levées lors des entrées en Bourse en France ont été presque dix fois supérieures à celle perçue il y a un an. Nous y avons participé largement, notamment via notre fonds Large Venture. Nous avons fait partie de 70 % des levées de fonds de plus de 20 millions d’euros » se félicite Paul-François Fournier.
Peu d’options de sortie pour les startups
Ces trois problèmes - peu de rachats de la part des grands groupes, manque de fonds « late stage », marché boursier défavorable - rendent difficiles les sorties d’entreprises des investisseurs de départ. Ces sorties se faisant sous forme de rachat, d’entrée en Bourse, ou d’arrivée à leur capital d’autres investisseurs. Or, ces sorties permettent aux investisseurs de récupérer de l’argent.
« Si les business angels ne peuvent pas sortir, ils ont du mal à réinvestir dans d’autres sociétés » met en garde Olivier Mathiot. Du coup, l’une des options pour les startups est de se faire racheter par un grand groupe étranger, « ce n’est peut-être pas le scénario optimum, mais cela fait partie des options de développement d’une entreprise. Les fonds d’investissement en capital-risque ont besoin de réaliser des sorties d’entreprises de leur portefeuille pour pouvoir réinvestir dans d’autres structures », conclut Paul-François Fournier.
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