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Comment les "Experts" de la SEC traquent les mauvais traders

Unité spéciale d'experts et algorithmes de marché puissants... le gendarme américain de la Bourse veut faire savoir aux traders indélicats qu'ils n'ont désormais plus leur traditionnel coup d'avance.

Unité spéciale d'experts et algorithmes de marché puissants... le gendarme américain de la Bourse veut faire savoir aux traders indélicats qu'ils n'ont désormais plus leur traditionnel coup d'avance. - Chip Somodevilla - Getty Images North America - AFP

S’approprier les armes de l’ennemi pour mieux lutter contre lui. C’est ce qu’est en train de faire le gendarme américain de la Bourse, qui après plusieurs années de recherches, vient de mettre au point une stratégie de lutte contre les pirates des marchés financiers, basée sur leurs propres algorithmes!

Après avoir été pendant des années l’objet de critiques acerbes, la Security And Exchange Commission (SEC) américaine a décidé de retrousser ses manches, pour enfin lutter efficacement contre les manipulations de marché. Et quoi de plus efficace que de retourner les propres armes des traders indélicats contre eux ?

C’est tout l’objet d’un programme mené par une unité spéciale de la SEC, la section de lutte contre les fraudes aux produits financiers complexes (CFIU, Complex Financial Instruments Unit). Une équipe d’"Experts", mathématiciens, anciens traders, ingénieurs et programmeurs, qui ont commencé à y travailler depuis 2 ans. Depuis, l’outil a été perfectionné pour devenir redoutable d’efficacité.

Plusieurs milliards de dollars de positions illégales

Après ouverture d’une procédure dans un cas bien précis, ce sont maintenant une douzaine d’enquêtes qui sont ouvertes, avec à la clé des milliards de dollars de positions frauduleuses qui ont pu être mises à jour. Et sans doute encore plus à venir dans les prochains mois, si l’on en croit les responsables du programme.

La SEC s’est concentrée en particulier sur le marché obligataire américain, théâtre d’un certain nombre de pratiques frauduleuses bien identifiées. L’une d’entre elles, assez courante, est nommée le "Bond Parking".

Ententes illégales

En gros, un intervenant de marché laisse traîner, au milieu de la frénésie d’ordres d’achat et de vente exécutés souvent via le trading haute fréquence, un ordre précis. Souvent sur des cours très décalés par rapport aux prix du marché, au-dessus ou en-dessous, suffisamment pour que le reste du marché ne le prenne pas au sérieux, croyant à une erreur de trading.

Et cet ordre reste là, à traîner au milieu du reste. Mais… à un moment bien précis, il va rencontrer un vendeur ou un acheteur qui va y souscrire. Le résultat c’est que l’ensemble du marché va devoir en tenir compte et s’aligner, souvent violemment, en faisant monter ou descendre les prix de marché par rapport à ce qui vient de se dérouler.

Des fraudes difficiles à prouver

En réalité, vendeur et acheteur se sont entendus bien longtemps à l’avance sur le déroulement du plan, et non seulement se rendent coupables d’échanges frauduleux d’actifs sous les cours d’offre et de demande réelle, mais aussi de déstabilisation du reste du marché, obligé de se réaligner. Donc entente illégale et manipulation.

Une fraude assez simple, mais théoriquement impossible à prouver, puisqu’elle se fonde pour le coup sur des ordres réels d’achat et de vente. Donc quasiment impossible de mettre en lumière quelque caractère frauduleux que ce soit, et encore moins de possibilité de tracer les coupables.

Se fondre dans le marché

Mais la SEC a trouvé la solution. Développer des algorithmes. Des formules mathématiques, semblables à celles qu’emploient les traders indélicats, qui vont lui permettre d’agir, de se fondre dans le marché, et d’observer.

Dans les faits, l’unité spéciale de la SEC va surveiller très attentivement les mouvements et surtout les anomalies de marché, jusqu’à être en mesure d’identifier un de ces fameux ordres placés en "Bond Parking".

Ferrer les coupables et remonter les filières

Et là, c’est la SEC elle-même qui va répondre à cet ordre. Ferrant du même coup, grâce à l’algorithme, l’émetteur, ainsi que le récepteur, qui va réagir et tenter d’intervenir à un moment où un autre. Et l’unité spéciale peut ainsi lancer les procédures, incriminer les intervenants en question, et même remonter plus loin le fil des complicités.

Car comme vu précédemment dans les scandales de manipulations sur les marchés de l’Euribor et du Libor ou même des métaux précieux, souvent on a affaire à des réseaux comportant de multiples complicités dans l’univers bancaire, boursier, où même réglementaire.

Les pirates n’ont plus le coup d’avance

Un changement complet de stratégie de la part de la SEC. Grâce à cette unité, elle peut agir préventivement, sans avoir à attendre des plaintes comme c’était le cas jusque-là. En gagnant ainsi un temps précieux, pour avancer plus vite et arrêter d’agir à rebours.

Désormais, elle est à la manœuvre et entend le faire savoir. Les pirates de la bourse ne sont plus forcément les plus rapides et les plus efficaces, la SEC ayant su rattraper en très peu de temps un inquiétant retard technologique.

Antoine Larigaudrie