Dollar fort: le dilemme de l’Amérique

La monnaie américaine confirme son éclatante santé, et prend encore de la vigueur sur l’euro, qui tombe à 1.05, tout proche de la parité. Mais ce phénomène se confirme face à toutes les autres grandes monnaies du monde, et commence à provoquer des craintes pour l’économie américaine.

En 1971, une délégation européenne, lors d’un voyage aux Etats-Unis, rencontre le Secrétaire du Trésor de l’époque, John Bowden Connaly. Alors qu’ils s’inquiètent des fluctuations du dollar à ce moment-là, et de l’impact sur l’ensemble de l’économie mondiale, et européenne en particulier, ils se voient répondre une phrase devenue célèbre : "Le dollar, c’est notre devise… Mais c’est votre problème". Mais nous voilà à nouveau au cœur d’une phase économique ou le dollar est précisément en train de devenir un problème pour l’Amérique.

Du jamais vu en 12 ans

D’autant que ces derniers jours le phénomène a pris une ampleur spectaculaire, en très peu de temps. On a fini la semaine passée avec un euro-dollar à 1,10-1,11, on est désormais à 1,05. On perd 7,5% en 2 semaines, et déjà 18,5% sur 6 mois. L’Indice-Dollar, qui mesure la force de la devise américaine face à un panier moyen de devise, est désormais sur un plus haut de 12 ans.

Une situation qui commence à inquiéter aux Etats-Unis, où l’on craint de voir les bénéfices et les perspectives des entreprises américaines s’effriter.

Baisses de taux en série au niveau mondial

Mais c’est aussi du côté des grandes économies émergentes et notamment asiatiques qu’on s’inquiète aussi. On en est au niveau mondial a plus d’un vingtaine de banques centrales obligées de baisser leurs taux directeurs pour dévaluer leurs monnaies, notamment face au dollar.

Dernière en date, la banque de Corée du Sud, obligée de contrecarrer la force de sa monnaie, le Won, qui a un peu valeur de devise-référence en Asie. Il est devenu bien trop fort et cela obscurcit singulièrement les perspectives d’une économie essentiellement exportatrice, qui doit en plus mener une guerre à double-front contre le Dollar mais aussi contre le Yen de son voisin japonais.

Roupie et Franc Suisse suivent le mouvement

La banque centrale indienne a aussi dû abaisser ses taux récemment pour affaiblir un peu la Roupie, une des seules monnaies au monde à progresser encore un peu face au dollar depuis le début de l’année.

Enfin symbole extraordinaire, le Franc Suisse, qui avait flambé après la décision de la Banque Nationale Suisse d’arrêter la parité fixe avec l’euro, est revenu à une stricte parité avec le dollar, situation qui prévalait auparavant. En quelques semaines, on sera passé de +20% à 0.

Quel timing pour la FED ?

D’où un vrai dilemme pour la FED. La Banque Centrale américaine, en plein processus de normalisation de sa politique monétaire doit soigneusement choisir le moment où elle va relever ses taux directeurs, sans provoquer de hausse inconsidérée de sa devise, avec toutes les conséquences néfastes à prévoir.

D’autant qu’en face, toutes les banques centrales du monde dévaluent leur monnaie et abaissent leurs taux, avec la BCE qui vient même de commencer son programme de rachats d’actifs, pour maintenir des taux extra-bas et juguler l’euro au maximum.

Monnaie américaine, problème américain

C’est donc pourquoi la tendance baissière, notamment sur l’euro-dollar va perdurer, et tous les économistes en sont à réviser leurs prévisions de change. Fin décembre, selon les sondages du Financial Times, seul 1 d’entre eux sur 32 prévoyait un retour à la parité pour le courant de l’année 2015. Désormais ils sont quasiment unanimes a voire la parité à 1 Euro pour 1 Dollar cette année, le tout étant de savoir maintenant à quel moment le dollar va passer au-dessus.

L’Amérique peut désormais se dire "Le Dollar : notre monnaie, notre problème".

Antoine Larigaudrie