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Le CAC 40 aurait-il un problème avec les petits porteurs?

ENQUÊTE Depuis 2003, le nombre des actionnaires individuels français a été divisé par deux. Cette hémorragie inquiète-t-elle les groupes du CAC40? Interrogés, la moitié d'entre eux refuse de communiquer le nombre de petits porteurs présents dans leur capital. Seuls quelques groupes sortent du lot. À commencer par Crédit Agricole.

3,3 millions: c’est le nombre d’actionnaires individuels en France. Enfin, du moins l’estimation la plus précise dont on dispose à ce jour. En effet, personne ne connaît le nombre exact de petits porteurs en France, ni l’AMF, ni l’INSEE, pourtant friandes de statistiques en tous genres. Seule certitude, les épargnants français qui boursicotent sont une espèce en voie de raréfaction. En 2003, ils étaient 7,2 millions, soit une baisse de 54% en 12 ans. Les actionnaires individuels ont désormais déserté la place de Paris et ses entreprises, où ils sont de moins en moins directement présents dans leur capital.

En moyenne, ils ne représentent aujourd’hui plus que 6,5% de l’actionnariat des 40 plus grandes entreprises françaises, deux fois moins qu'en 2009. Avec de grandes disparités. Certains groupes attirent davantage les petits porteurs que d'autres? Là encore, les données sont très difficiles à obtenir. En effet, les sociétés cotées communiquent très peu sur ce sujet.

Sur les 40 entreprises de l’indice phare parisien interrogées par nos soins, seulement 19 ont accepté de communiquer le nombre d’actionnaires individuels dans leur capital. Cela va de 30.000 pour Essilor à plus d’un million pour Crédit Agricole.

Les valeurs bancaires sont d’ailleurs celles qui communiquent le plus autour de ce sujet (voir infographie ci-dessous), Société Générale ayant même reçu le grand Trophée d’or des meilleures relations actionnaires du CAC 40 récompensant la globalité de ses actions à destination des actionnaires individuels.

Pour autant, est-ce que les 21 entreprises n’ayant pas répondu à nos demandes ont en leur possession cette donnée? La réponse est oui.

Toutes les entreprises du CAC40 ont mené une étude TPI

En effet, si on se fie à une étude menée par l’AMF sur les dispositifs de communication des sociétés cotées à destination des actionnaires individuels, toutes les entreprises du CAC40 ont mené une enquête TPI (Titre au porteur identifiable), qui leur permet de disposer du nombre d’actionnaires individuels.

Il faut tout de même souligner que lors de cette étude, les sociétés fixent un seuil en-dessous ou au-dessus duquel elles souhaitent connaître leurs petits porteurs. Ainsi, seulement 12 entreprises du CAC40 ont mené une étude TPI afin de connaître le nombre d’actionnaires détenant des titres pour un montant de moins de 2.000 euros.

Une donnée stratégique

On peut alors se demander pourquoi nos champions français ne souhaitent pas communiquer. S'agit-il d'une simple donnée non significative comme beaucoup d’attachés de presse le répètent ou d'une donnée trop stratégique pour être divulguée? 

Guillaume Prache, directeur général de Better Finance, une fédération qui regroupe les associations nationales d'épargnants de près de trente pays européens, penche pour la deuxième option.

"La volonté de mieux identifier les actionnaires est tout à fait réelle de la part des entreprises cotées -c'est d'ailleurs leur priorité dans le débat sur la révision en cours de la Directive européenne sur les droits des actionnaires- mais à leur seul profit: elles refusent en effet dans leur grande majorité de communiquer la composition précise de leur actionnariat, notamment à leurs copropriétaires que sont les actionnaires individuels. L'enjeu stratégique de ces informations pour les équipes dirigeantes en place explique bien sûr très largement cette attitude."

Pour preuve, cet échange avec la personne en charge des relations presse de Technip, qui intervenait juste quelques jours après des rumeurs de rachat du parapétrolier français par l’américain FMC Technologies: "C’est un sujet délicat. Je n’ai pas les chiffres et même si je les avais je ne pourrais pas vous les communiquer". Cette réaction est évidemment compréhensible étant donné la forte probabilité que l’entreprise fasse l'objet d'une OPA. 

Même chose pour nos voisins?

Peut-on dire, pour autant, que la difficulté à identifier les actionnaires est un mal seulement Français? La réponse est non. Nos voisins européens ne sont guère mieux lotis. "Il est très difficile d'obtenir des données fiables et comparables sur le nombre d'actionnaires individuels dans les pays de l'Union européenne" relève Guillaume Prache. 

Pour le directeur général de Better Finance, cela s’explique par "l’absence d’intérêt et de volonté politique réels". Dans "le tout récent Livre vert de l'Union européenne sur l'Union des marchés de capitaux et la nécessité de développer le financement en actions des entreprises, il n'y a pas une seule ligne en faveur du développement de l'actionnariat individuel" s'insurge Guillaume Prache.

Aux dernières estimations, il y aurait 4,5 millions de petits porteurs en Allemagne et 5 millions au Royaume-Uni. Et dans ces deux pays, ils sont chaque année moins nombreux.

Pourquoi le nombre d’actionnaires individuels diminue?

Dans un contexte de taux bas et de faibles rémunérations de l’épargne, les actions devraient logiquement avoir la cote auprès des français. Le CAC40 a d’ailleurs plutôt bien résisté en 2015 (+8,5%), en dépit des turbulences en Chine et du net repli des matières premières.

D’autant que d’après une étude de l’AMF tirée de La lettre de l’Observatoire de l’épargne, les placements en actions avec dividendes réinvestis constituent l’investissement le plus rentable sur la période 1988-juin 2013 devant l’immobilier parisien, l’or ou encore les obligations d’état à 10 ans.

Et ce, malgré les nombreuses crises qui ont émaillé les Bourses depuis les années 2000 (éclatement de la bulle Internet, faillite de Lehman Brothers et endettement en zone euro).

Explosion des produits d’épargne

Alors pourquoi le nombre d’actionnaires détenteurs d'un PEA ou d'un compte-titre diminue-t-il au fil du temps? Pour Guillaume Prache, "cette diminution a essentiellement profité aux produits dits 'packagés', en particulier les fonds collectifs (OPCVM)... En effet, les intermédiaires financiers ne 'conseillent' et ne proposent plus - dans leur grande majorité - que des produits 'packagés' aux particuliers, au détriment des placements directs dans les entreprises européennes."

Ce que confirme une étude de l’AMF, qui montre qu’entre "mars 2009 et mars 2015, le taux de détention de contrats d’assurance-vie en unités de compte – investissement indirect en actions– est passé de 8,1% à 10,5%." Une tendance qui n’a pas permis de compenser totalement la diminution de l’investissement direct en actions qui, en l’espace de six ans, est passé de 18,2% à 10,9%.

La France championne d'Europe de l’actionnariat salarié

Si les petits porteurs peuvent apparaître comme les mal-aimés du CAC 40, les actionnaires salariés sont, eux, de plus en plus choyés. Apparue dès 1967, cette nouvelle forme d’investissement a réellement commencé à se développer dans les années 1980 avec les premières privatisations d’entreprises publiques telles que la Société Générale, Saint-Gobain ou encore feue Elf Aquitaine.

Depuis, cette pratique s’est très largement démocratisée auprès des salariés et désormais les entreprises françaises font figure d’avant-gardistes dans ce domaine. Ainsi, en 2014, 80% des principales entreprises françaises avaient des plans d’actionnariat pour l’ensemble de leurs salariés contre une moyenne européenne de 47%, d’après une étude réalisée par le cabinet Eres.

En 2015, le nombre des actionnaires salariés a même dépassé celui des petits porteurs...Retrouvez la suite de l'article sur TradingSat.com

Sami Bouzid