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Comment l'Europe encadre la spéculation sur la dette des Etats

Toutes les interdictions prévues par ce règlement peuvent toutefois être temporairement exclues en cas de crise de la liquidité sur la dette d'un Etat souverain

Toutes les interdictions prévues par ce règlement peuvent toutefois être temporairement exclues en cas de crise de la liquidité sur la dette d'un Etat souverain - -

Depuis jeudi 1er novembre, un règlement européen interdit ou encadre des pratiques spéculatives accusées de fragiliser les Etats européens sur le marché.

Bruxelles a désormais renforcé sa réglementation financière pour protéger ses Etats-membres. La volonté affichée par l’Union européenne est de réduire la spéculation sur les pays la composant. Ainsi, depuis jeudi 1er novembre, un règlement européen est entré en vigueur: celui-ci interdit l’achat de CDS (Crédit Default Swaps) "à nu" et requiert davantage de transparence sur les ventes à découvert.

Explications.

> L'interdiction des CDS à nu

Les Crédit Default Swaps (CDS) sont des dérivés de crédit, instruments financiers qualifiés d'"armes de destructions massives" par le célèbre investisseur Warren Buffet.

Concrètement, ces produits marchent comme une assurance. Si un investisseur achète de la dette sur le marché et qu’il craint que son débiteur ne fasse défaut, il peut souscrire à un CDS auprès d’une tierce personne qui supportera alors à sa place les pertes sur ses créances. Le tout moyennant rétribution pour "l’assureur", ce que l’on appelle "la prime" du CDS.

Mais contrairement à une voiture ou une maison assurée, un investisseur peut souscrire cette assurance sans détenir le bien associé, c’est-à-dire la dette. C’est ce que l’on appelle détenir un CDS "à nu", c’est-à-dire souscrire ce CDS sans détenir la dette correspondante.

Et l’investisseur peut ensuite se défausser du CDS sur le marché. Si les risques sur l’entreprise ou le pays associé à ce CDS ont augmenté et que l’investisseur réussit à trouver preneur, il enregistre alors un profit. Bruxelles a ainsi ce produit dans le collimateur pour une bonne raison: cette technique s’apparenterait à de la pure spéculation sur la dette d’Etats souverains, ce qui fragilise ces mêmes pays.

Des limites

La directive interdit ainsi cette pratique dite des CDS à nu. Le but est donc de ramener le marché de CDS a sa fonction première d’assurance

Toutefois plusieurs bémols sont à souligner. Le texte européen permet en effet aux Etats de quitter cette interdiction si la liquidité du produit est menacée. Ensuite elle autorise certains investisseurs à acheter des CDS sans détenir la dette correspondante. Il s’agit des personnes possédant des titres dont "la valeur est corrélée à la valeur" de cette dette, précise le texte.

De plus, le marché des CDS souverain est extrêmement étroit par rapport à celui de la dette souveraine. Selon Natixis, les encours actuels sur les CDS en France s’élèvent à 15,4 milliards d’euros. Un chiffre à comparer avec les 1 400 milliards d’euros d’obligation d’Etat.

Enfin, Pour Frédérik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole, "cette mesure est largement anticipée depuis un an, les investisseurs ont eu largement le temps de se débarrasser de leurs CDS à nu et de se couvrir. L'entrée en vigueur devrait donc n'avoir qu'un faible impact".

> La vente à découvert

Le texte touche également des pratiques plus directes. La vente à découvert est ainsi encadrée. Ce mécanisme consiste à emprunter un titre dont on anticipe une baisse de la valeur, puis à la vendre pour ensuite le racheter à un prix plus faible. Au passage, le financier empoche la plus-value. Cette vente à découverte peut être "à nue", si l’investisseur vend un titre qu’il n’a pas emprunté.

Ces pratiques sont légales, mais accusées d’avoir pu précipiter la chute de certaines actions ou le renchérissement des coûts d’emprunts des Etats européens.

Dans le cas de la simple vente à découvert, lorsqu’un investisseur vendra une part significative d’actions d’entreprises (c’est à dire 0,2% du capital) il devra désormais le notifier aux autorités compétentes, comme l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), en France. Il en sera de même pour les obligations d’Etats, sauf qu’aucun seuil n’est précisé dans le texte.

Concernant la vente à découvert "à nue" des obligations et des actions, le règlement oblige les opérateurs qui utilisent cette pratique à fournir des garanties certifiant qu’ils seront en mesure de tenir leurs engagements, et donc de racheter l’action ou l’obligation correspondante.

Là encore, ces deux mesures peuvent être suspendues en cas de tensions sur la liquidité des titres de dette d’un Etat souverain.

Enfin, en cas de baisse "significative" du prix d’un instrument financier, les autorités de régulation auront la possibilité de suspendre la vente à découvert sur cet instrument.En octobre 2011, la France avait déjà interdit la vente à découvert sur les banques, assureurs et réassureurs cotés en Bourse. Cette interdiction a pris fin en février dernier. L’Italie, l’Allemagne et l’Espagne avait pris la même mesure.

Ainsi, Bruxelles encadre les ventes à découvert, plutôt qu’elle ne les bannit. Pour de bonnes raisons, selon Cyril Regnant, stratégiste obligataire chez Natixis: "Les ventes à découvert ne sont pas que des outils spéculatifs, elles sont aussi profitables au marché car elles apportent de la liquidité".

Julien Marion et AFP