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Marchés obligataires: l’Europe à taux négatifs

Les traders de Francfort seront sans doute les premiers à pouvoir être témoins du passage du taux de la dette à 10 ans de leur pays sous le niveau zéro, une première en Zone Euro

Les traders de Francfort seront sans doute les premiers à pouvoir être témoins du passage du taux de la dette à 10 ans de leur pays sous le niveau zéro, une première en Zone Euro - Frank Rumpenhorst - DPA - AFP

De plus en plus de dettes souveraines en Europe voient leur rendement devenir négatifs sur toutes sortes de durées, France et Allemagne en tête. Résultat de la politique de rachats d’actifs de la BCE, ce qui n’est pas sans poser de lourdes interrogations sur l’avenir.

Payer une prime pour acheter la dette d’un pays, voilà une aberration économique avec laquelle le marché obligataire est obligé de vivre depuis un certain temps, et sans doute pour une période prolongée.

L’évènement que tout le monde guette pour cette semaine est l’entrée de l’Allemagne dans le domaine du taux négatif à son tour. Le rendement du Bund à 10 ans est désormais de 0,14-0,15%, et tous les spécialistes des marchés de taux se préparent d’ores et déjà à un passage dans le rouge très prochainement.

La Suisse, cas d’école

C’est la Suisse qui a impulsé le mouvement, à la faveur d’une décision spectaculaire, celle de mettre un terme à l’ancrage du Franc Suisse à l’Euro. Ça a provoqué un tel chambardement en une seule journée que tout le monde s’est mis à acheter des obligations suisses, dont les taux étaient relativement bas.

Ils sont négatifs sur le marché depuis plusieurs mois, et désormais, la Suisse emprunte à 10 ans à taux négatifs, depuis la semaine dernière, première émission obligataire officielle du genre à -0,05%. Pour emprunter de la dette suisse à 10 ans, il faut verser désormais une prime.

La France suit le mouvement

Et la situation devrait s’installer dans le temps, certains analystes qui suivent la tendance sur le long terme, estimant même que les taux suisses ne pourront mathématiquement pas repasser au-dessus de 0 avant… 2021 !!

Sur les échéances plus courtes, là aussi on assiste à un certain nombre de phénomènes du même genre. La France emprunte à court terme (6 et 12 mois) en taux négatifs depuis septembre 2012. Le rendement du bon à 5 ans est presque nul désormais, et début avril, le Trésor a émis de la dette 10 ans à un taux historiquement bas, à 0,46%. Le passage en négatif devrait logiquement intervenir là aussi en cours d’année. Alors qu’en 2012, on en était encore à 3,5%...

Allemagne, champion des taux négatifs

Mais c’est en Allemagne bien sûr que se trouve la situation la plus frappante : l’économie la plus solide de la zone euro est bien évidemment l’objet de toutes les attentions, à la fois des investisseurs mais aussi de la BCE, qui centre la majeure partie de ses opérations de rachat sur la dette du pays.

L’Allemagne a été le premier pays a officiellement emprunter à taux négatifs sur 5 ans fin février, et devrait donc être prochainement le premier de la zone euro à voir son taux à 10 ans basculer dans le rouge. 

Espagne, Italie et Portugal suivent le mouvement

Et ce n’est pas tout ! On se retrouve avec des pays du sud, Italie, Espagne et Portugal désormais, qui sont devenus des placements mathématiquement moins risqués que les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, avec des taux de dette 10 ans situés entre 1,2 et 1,7%...

Le mouvement paraît continu et ne semble pas poser de problèmes outre mesure à la BCE, qui poursuit tranquillement son plan de rachats d’actifs, alors que du côté britannique et surtout américain, on est là dans une logique de remontée des taux, de normalisation de politique monétaire.

Un marché gagnant-gagnant, jusqu’à quand ?

Tout le monde s’est fait à ce contexte de taux négatifs, qui n’empêche pas les intervenants de faire des profits, en arbitrant entre produits à taux négatifs et plus élevés, en se payant sur les écarts de rendement.

Reste qu’encore une fois, la politique monétaire des banques centrales provoque une aberration structurelle, qui pour l’instant ne dérange personne vu que tout le monde est d’accord pour que le marché fonctionne ainsi.

Mais ce petit paradis à rendement de plus en plus négatif pourrait bien tourner à l’enfer si le marché perd totalement la notion de prise en compte du risque… Ou si un pays arrive en situation de défaut de paiement sur sa dette.

Antoine Larigaudrie