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Pétrole: l’Arabie Saoudite fait la leçon aux États-Unis

Ali Al-Naïmi, ministre saoudien du Pétrole, conseille aux producteurs américains de s'adapter... sous peine d'être rayés de la carte.

Ali Al-Naïmi, ministre saoudien du Pétrole, conseille aux producteurs américains de s'adapter... sous peine d'être rayés de la carte. - Joe Klamar - AFP

Propos d’une sourde brutalité mardi du ministre saoudien du Pétrole: en substance, celui-ci explique que son pays a parfaitement les moyens de tenir avec un baril de pétrole qui descendrait à 20 dollars, et que les États-Unis ont un intérêt vital à s’adapter à cette nouvelle donne.

Douche froide mardi pour les grands acteurs de l’industrie pétrolière américaine, réunis lors d’un congrès à Houston et qui recevaient ni plus ni moins que le ministre saoudien du Pétrole, Ali Al-Naïmi, le "Grand Manitou" du secteur, connu pour ses petites phrases-chocs.

Interrogé il y a quelques semaines par un journaliste, qui souhaitait savoir jusqu’où il pensait que les cours du pétrole allaient tomber, il avait répondu, très docte, un fameux: "Only Allah knows". Dieu seul le sait.

Le pétrole à 20 dollars? "Aucun problème" 

Les pétroliers texans savaient donc qu’ils allaient avoir droit à une démonstration de la part de l’habile ministre du Pétrole. Mais ils n’attendaient peut-être pas des propos aussi brutaux et francs. "L’Arabie Saoudite n’est pas en guerre avec le pétrole de schiste américain. Mais le Royaume peut tout à fait s’accommoder d’un baril qui descendrait même à 20 dollars. Aucun problème" a-t-il déclaré en préambule.

Mais la suite prend toute sa saveur, surtout quand on sait que ces mots ont été prononcés au cœur même de la capitale pétrolière américaine.

S’adapter… ou mourir

"En revanche, vous Américains, avez un sérieux problème avec les cours actuels du brut. Vos coûts de production sont trop élevés. Donc trois solutions: soit vous les baissez, soit vous empruntez du cash, soit… vous vous auto-liquidez. Les acteurs faibles vont rapidement devoir disparaître". 

Devant les yeux ébahis et les sourires stupéfaits de son auditoire, il s’empresse d’ajouter: "Ah, cela peut sembler cruel, et ça l’est malheureusement. Mais il faut que vous trouviez très rapidement un juste équilibre sur vos coûts de production".

Un processus "Darwinien" 

Des propos violents, mais qu’aucun membre de l’assistance n’a pris comme une provocation ou une insulte. D’ailleurs, la plupart des représentants de l’industrie avaient plutôt tendance à regarder leurs chaussures. Car ils savent que le ministre saoudien du Pétrole parle d’or.

"Il a raison", commentait hier Brian Ferguson, patron du pétrolier canadien Cenovus Energy. "Il va y avoir un processus Darwinien de sélection naturelle: seul le pétrole le plus rentable et les entreprises les plus profitables resteront sur le marché. Les plus fragiles vont mourir."

Les pires des scénarios

Et même Ryan Lance, PDG du géant américain Conoco-Philips, approuve: "On est sur la même longueur d’ondes, notre entreprise travaille d’ailleurs sur les pires des scénarios en termes de baisse de cours. Nous ne prévoyons pas que les discussions autour d’une stabilisation de la production mondiale aient le moindre impact sur les cours".

Et sur ce point précis, Ali Al-Naïmi se veut clair: "Certes, on discute. Nous sommes 4 pays (l’Arabie Saoudite, la Russie, le Venezuela et le Qatar) à négocier sur ce point. Nous avons encore beaucoup à faire, si l’on veut de manière coordonnée décider d’un gel des quotas actuels de la production"

Pourquoi pas un gel, une réduction exclue

Une réunion des pays producteurs est d’ailleurs en projet pour le mois prochain, et la voix de l’Arabie Saoudite, premier producteur de l’OPEP, pèsera comme aucune autre. Et à certains qui évoquent l’hypothèse d’une baisse de la production, le ministre met son veto, comme il l’a toujours mis depuis des mois, en dépit de la dégringolade des cours: "Hors de question", dit-il.

Mais malgré la fermeté et l’habileté d'Ali Al-Naïmi, un des facteurs prépondérants va être également l’impact de la baisse de la rente pétrolière sur la situation budgétaire des pays producteurs. L’Arabie Saoudite est sous pression, ainsi que tous les pays du Golfe, sans compter les pays plus fragiles comme le Venezuela, littéralement au bord de la faillite.

Antoine Larigaudrie