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Quand le patron de SnapChat dénonce la bulle qui fait sa fortune

Evan Spiegel, fondateur et patron de SnapChat, s'amuse lui-même des excès d'une bulle spéculative qui permet à son entreprise d'atteindre des multiples de valorisation stratosphériques.

Evan Spiegel, fondateur et patron de SnapChat, s'amuse lui-même des excès d'une bulle spéculative qui permet à son entreprise d'atteindre des multiples de valorisation stratosphériques. - Steve Jennings - Getty Images North America - AFP

Coïncidence de l’actualité, c’est le jour où le Nasdaq bat un nouveau record, que le jeune fondateur de SnapChat annonce son intention d’introduire la société spécialisée dans les photos éphémères en bourse, avec une valorisation qui le laisse lui-même très perplexe.

20 milliards de dollars. L’équivalent de la capitalisation de Michelin, 2 fois la capitalisation d’Alstom... Tout ça pour une application de partage de photos éphémères. Est-ce bien raisonnable? Même le patron de la société, Evan Spiegel, 25 ans, nous dit que non. Et pourtant il sait la vendre, son entreprise.

Ou plutôt ne pas la "vendre", puisque cela a même constitué l'un des secrets de cette valorisation faramineuse. En 2012, il reçoit une offre de rachat de Facebook, cash, à 3 milliards de dollars en 2012. Evan Spiegel refuse. Un peu plus tard, c’est Google qui frappe à la porte. Et qui propose 4 milliards. Nouveau refus.

"Evidemment que la bulle existe" 

A 20 milliards de dollars, le jeune patron peut se féliciter de ses choix, de son sang-froid et de son flair. Car il a capitalisé justement sur la formation d’une nouvelle vague de spéculations sur la High Tech, qui lui a permis de lever des fonds à tour de bras ces dernières années.

Des tours de table toujours plus fructueux, le dernier s’étant soldé par 800 millions de dollars de capitaux placés par des investisseurs affamés. Et le problème est bien là, de l’aveu même d’Evan Spiegel, qui avec la candeur de sa jeunesse, livre une analyse implacable. "Il y a trop d’argent sur les marchés, les investisseurs prennent de plus en plus de risque, d’où la formation d’une très grosse bulle spéculative. Evidemment qu’elle existe".

De si profitables excès

Et quand on lui demande si elle va éclater et quand, il répond "Bien sûr, qu’elle va éclater. Quand ? Je ne sais pas. A un moment où à un autre, nous l’avons d’ailleurs prévu dans nos plans. Mais quand? Je n’en sais rien. Si je le savais, je gagnerai sans doute beaucoup plus d’argent..." Et le tout jeune patron de rire lui-même des excès des marchés, qui font sa fortune actuelle et qui lui garantiront quoi qu’il arrive un ticket de sortie extrêmement juteux.

Pour autant il n’a pas l’intention de vendre SnapChat, et préfère l’indépendance. Ce qui explique son refus des offres de Google et de Facebook. "Le business et bien plus amusant en indépendant", dit-t-il. Et puis ça fait monter l’étiquette de prix…

Des Licornes aux Décacornes

Les investisseurs américains ont un nouveau mot pour décrire les Start-Up les plus prometteuses, valorisées à plus d’1 milliard de dollars, les Licornes. On a même eu besoin de créer un nouveau mot pour celles qui atteignent les 10 milliards, les Décacornes. SnapChat est donc une Double-Décacorne. Et quand le patron de cette Double-Décacorne dit lui-même que la spéculation autour de son entreprise et de ses semblable devient folle, il y a sans doute de quoi s’inquiéter.

Malgré tout, encore une fois, si bulle spéculative il y a, elle est sans doute bien différente de celle de la fin des années 90. Une bulle de nature différente A l’époque les investisseurs misaient des sommes qui se sont avérées totalement déraisonnables sur des modèles industriels totalement flous. Là, cette bulle est un peu différente, car la plupart de ces entreprises ont déjà leur modèle industriel sous le bras, éprouvé, et aux perspectives plutôt bien cadrées.

Corrections en vue

Mais c’est lors des levées de fond et des introductions en bourse que les investisseurs franchissent les limites du raisonnable en matière de valorisation du modèle et des perspectives. La faute sans doute à un argent abondant et pas cher qui ne demande qu’à être placé sur des projets innovants, quitte à les surévaluer copieusement.

Et pour l’instant, vu le contexte monétaire américain, et la perspective de taux d’intérêt qui vont remonter sans doute avant la fin de l’année, le second semestre sera une période cruciale pour juger de l’appétit des investisseurs pour ce genre d’opération, qui pourra être l’occasion de corrections assez violentes, notamment sur le Nasdaq, l’indice le plus riche en valeurs technologiques.

Antoine Larigaudrie