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S&P sera-t-elle la première agence condamnée aux Etats-Unis ?

Standard and Poor's est la cible des premières poursuites jamais engagées par le département américain de la justice à l'encontre d'une agence depuis la crise des subprimes

Standard and Poor's est la cible des premières poursuites jamais engagées par le département américain de la justice à l'encontre d'une agence depuis la crise des subprimes - -

Les poursuites des autorités fédérales américaines contre Standard & Poor’s sont un nouvel exemple de la remise en question du pouvoir des agences. Mais obtenir une condamnation en justice ne sera pas aisé.

L’Amérique passe en mode offensif vis-à-vis des agences de notation. Lundi 5 février, le département américain de la justice a lancé des poursuites à l’encontre de l’une d’entre elles : Standard & Poor’s. Les Etats-Unis lui réclament des dommages et intérêts exubérants, de 5 milliards de dollars. Mais parvenir à la faire condamner ne sera pas une mince affaire.

Les accusations du gouvernement américain à l'encontre de S&P et de sa maison-mère McGraw Hill sont lourdes. L’agence aurait "en toute connaissance de cause et avec l'intention d'induire en erreur" sur-noté certains produits financiers. Elle aurait ainsi fait perdre des milliards de dollars aux investisseurs publics et privés qui lui faisaient confiance. Et aurait contribué à créer les conditions de la crise des subprimes, l’une des plus vastes que le monde ait jamais connue.

Mais en dépit des nombreuses critiques sur leur rôle dans la crise de 2008, et malgré des condamnations en divers endroits du monde, aucune agence de notation n’a jamais été jugée coupable par une cour américaine.

Une immunité relative

Pourtant la loi a été modifiée. Norbert Gaillard, docteur en Economie et spécialiste des agences de notation, évoque l’instauration de la loi Dodd-Frank aux Etats-Unis en 2010. Ce texte, dont le but est de réguler la finance en tenant compte des enseignements de la crise des subprimes, atténue le "statut d’immunité des agences" vis-à-vis de la justice, explique-t-il. Jusque-là, seul l’investisseur avait une responsabilité : celle de suivre ou non l’avis émis par les instances de notation.

Par ailleurs, les Etats-Unis ont procédé ces dernières années à une "désintoxication massive des marchés financiers", souligne Catherine Gerst, ancienne de chez Moody’s et auteur de "To B or not to B : le pouvoir des agences de notations en question". Toute référence aux notes des agences a été retiré des textes officiels, de toute la documentation relative aux marchés. Un travail de titan.

Mais dans le cadre d’un procès, c’est toujours au plaignant de prouver que l’agence n’était pas de bonne foi. En Europe par exemple, c’est l’inverse : lorsque ses notations sont mises en cause, il revient à cette dernière de prouver qu’elle a bien fait son travail.

Une réputation ruinée

Par ailleurs, face aux jurés américains, les agences continuent de se prévaloir du 1er amendement, celui sur la liberté d’expression, pour échapper à toute condamnation. Et cela marche. Le simple fait qu’une "émanation de l’Etat, non plus un acteur privé, attaque en justice, n’y changera rien", reconnaît Catherine Gerst.

Et si obtenir gain de cause au tribunal n’était pas le but ultime des autorités américaines ? L’ex-directrice générale de Moody’s France considère que la plainte du département américain de la justice est en fait une autre manche d’un bras de fer qui dure depuis la crise. En criant haut et fort que les notes des agences sont "fausses, biaisées, truquées", en leur montrant qu’il peut "ruiner leur réputation", Catherine Gerst pense que l’Etat cherche à les mettre au pas. Reste à voir si les marchés financiers se dirigent vers une moindre utilisation de ces notes.

Nina Godart