Sapin: les pilotes "mettent en danger" Air France
L'appel à la grève lancé par quatre syndicats devrait entraîner des perturbations limitées lundi, jour où le plan de restructuration sera présenté. En attendant, le gouvernement met la pression sur les pilotes.
Air France est menacée par une "minorité" et il faut que tout son personnel soit conscient que "si rien n'est fait" la compagnie sera "en très grande difficulté", a déclaré dimanche 4 octobre le ministre des Finances Michel Sapin.
"Quand le dialogue est bloqué par une minorité sur des visions purement individuelles et corporatistes, oui ça peut mettre en danger l'ensemble", a déclaré Michel Sapin dans l'émission Le Grand Rendez-vous sur Europe 1, iTélé et Le Monde. "J'espère que tout le monde est bien conscient, y compris tout le monde dans le personnel d'Air France, que si rien n'est fait, Air France est en très grande difficulté", a-t-il ajouté, disant soutenir les "réformes nécessaires".
"Tout a bougé"
"On vit sur cette image d'une compagnie belle, conquérante, grande référence mondiale, elle l'est toujours, mais tout a bougé autour", a poursuivi le ministre des Finances, citant le développement du low-cost et des compagnies de très grande qualité, notamment orientales et dans les pays du Golfe. "Air France s'est fait écraser, pris en tenaille entre deux évolutions, il faut donc regagner sur les deux bouts."
Interrogé sur l'éventualité d'une recapitalisation d'Air France, Michel Sapin a estimé que ce n'était "pas le sujet aujourd'hui". "Le sujet, c'est comment on remet cette compagnie dans le mouvement et dans l'équilibre".
Après Macron et Valls
Déjà, le ministre de l'Economie Emmanuel Macron a appelé vendredi direction et syndicats à mettre à profit le comité central d'entreprise (CCE) de lundi matin pour renouer le dialogue, et estimé qu'il appartenait aux syndicats de faire des "contre-propositions" pour améliorer le plan.
Surtout, Manuel Valls en a appelé à la "responsabilité" des syndicats de pilotes d'Air France, qui ont rejeté le plan de productivité de la direction.
"J'en appelle toujours à la responsabilité. Pour s'adapter il faut évoluer. Le statu quo n'est pas possible, sinon c'est l'ensemble du personnel qui est menacé", a déclaré le Premier ministre à quelques journalistes qui l'interrogeaient sur le sujet en marge de son déplacement au Japon.
"Une compagnie peut disparaître"
"Je ne rentre pas à ce stade dans les chiffres (de suppressions de postes) mais Air France a besoin de changement et de réformes", a commenté Manuel Valls, qui avait déjà appelé les pilotes à cesser leur longue grève l'an dernier. "Si Air France n'évolue pas, elle se met en danger. On sait qu'une compagnie peut disparaître", a prévenu le chef du gouvernement.
La compagnie française (dont l'Etat détient toujours 17,6%) "est face à un double défi: celui de la concurrence des low cost, et celui de la concurrence des compagnies du Golfe et asiatiques sur les long courriers", a rappelé M. Valls. "On sait qu'Air France a les bases pour faire face à cette double concurrence. Mais elle doit évoluer", a-t-il encore dit. "De manière générale, il ne peut pas y avoir de logique jusqu'au-boutiste", a-t-il insisté.
Critiques de la CFDT et FO
La décision du SNPL, syndicat majoritaire des pilotes d'Air France, a déjà suscité des critiques du leader de la CFDT Laurent Berger, qui a dénoncé "du syndicalisme qui part en vrille".
De son côté, le numéro un de FO, Jean-Claude Mailly, a déclaré samedi sur ITélé à propose samedi le SNPL: qu'ils soient un peu plus solidaires et discutent avec les autres syndicats".
"C'est un syndicat de métier, je leur conseillerais de ne pas fermer la porte, y compris de la négociation, qu'ils prennent contact avec les autres syndicats", a ajouté M. Mailly. "Je ne leur tape pas particulièrement dessus (...) On ne sait jamais ce qui se passe entre la direction et les pilotes de ligne", a dit le leader de FO, affirmant aussi qu'il n'était "pas question d'avoir des licenciements secs".
Plan annoncé lundi
Air France doit annoncer lundi à ses personnels les détails de son plan de réduction d'activité qui pourrait entraîner à court terme près de 3.000 suppressions de postes, dont deux tiers au sol, où les salariés sont appelés le même jour à la grève.
Lundi, la direction communiquera officiellement au Comité central d'entreprise (CCE) sa décision de mettre en oeuvre dès 2016 un nouveau plan de restructuration. La réunion doit démarrer à 9h30 au siège de la compagnie à Roissy. Les représentants du personnel devraient lancer une procédure "d'alerte" sur le futur plan, rejeté par l'ensemble des syndicats. Une large intersyndicale appelle les salariés à manifester à 10H.
Après "l'échec des négociations" avec les pilotes sur de nouvelles mesures de productivité, les administrateurs du groupe AF-KLM ont tranché jeudi en faveur d'un scénario "alternatif" au plan de productivité et de croissance "Perform 2020".
Plan B
Si les réductions de coûts grâce au précédent plan devraient lui permettre de renouer avec les bénéfices en 2015, la compagnie tricolore . Avec ce "plan B", elle espère retrouver des marges d'investissements.
Ses grandes lignes sont connues: une réduction de 10% de l'offre long courrier, de nombreuses suppressions de postes et le report des commandes de Boeing 787. Plus précisément, Air France retirerait 14 avions d'ici à fin 2017 et fermerait 5 lignes long-courrier, réseau déficitaire à 50% où elle prévoit également de réduire les fréquences de certaines lignes, ont rapporté des participants au conseil d'administration de la compagnie.
Un plan en 'deux phases'
La direction évalue à 2.900 postes (300 pilotes, 700 hôtesses et stewards et 1.900 emplois au sol) le sureffectif en 2016 et 2017, de même source. Pour la première fois de son histoire, des départs contraints sont envisagés, notamment chez les navigants et certaines bases au sol. Mais les licenciements secs se feront "en dernier recours", a promis le patron d'AF-KLM Alexandre de Juniac, qui souhaite "privilégier les départs volontaires", comme la compagnie l'a fait pour supprimer 5.500 postes de 2012 à fin 2014. L'ampleur du plan dépendra d'une éventuelle reprise des négociations avec les pilotes.
Selon plusieurs sources syndicales, la direction propose un plan en "deux phases" avec le retrait en 2016 de 5 appareils, puis -si les négociations n'aboutissaient pas- la sortie des autres avions. Avec à la clef plusieurs milliers de suppressions de postes supplémentaires, qui porteraient l'addition à 8.000 emplois en moins.
Selon un administrateur salarié, la stratégie de la direction est "très adroite", car elle met "une grosse pression sur le SNPL" (premier syndicat de pilotes), tout en "laissant le temps à la négociation". Le scénario d'"attrition" est une "arme atomique" que la direction agite "tout en espérant ne pas l'appliquer", d'autant plus qu'il fragiliserait les accords de partage d'activité entre Air France et sa consoeur néerlandaise KLM, estime-t-il.
Réduire la flotte serait "un contresens industriel", selon Béatrice Lestic (CFDT) qui redoute, à l'instar d'autres syndicats, qu'Air France ne récupère jamais les parts de marché abandonnées. Le SNPL, désigné comme coresponsable de la situation par la CFE-CGC et la CFDT, affirme que sa "porte n'est pas fermée". Comme la direction si les syndicats de pilotes reviennent avec "une vraie volonté de discuter", a prévenu M. De Juniac.