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Patrimoine: riches et de gauche, opération déminage pour certains ministres

François Hollande entouré de Jean-Marc Ayrault et des femmes ministres de son gouvernement, le 17 mai 2012

François Hollande entouré de Jean-Marc Ayrault et des femmes ministres de son gouvernement, le 17 mai 2012 - -

Ministres parmi les plus aisées du gouvernement, Marisol Touraine et Michèle Delaunay assument leur patrimoine généreux tout en cherchant à se démarquer de l'image de "riche". Malaise?

Lorsqu'elle évoque la publication de son patrimoine, Michèle Delaunay parle d'une "épreuve". Il faut dire qu'avec un total estimé à 5,4 millions d'euros, la ministre déléguée aux Personnes âgées arrive pour l'instant en tête des ministres les plus riches du gouvernement. Un record qui, en cette période de crise, pourrait valoir à Michèle Delaunay l'incompréhension d'une partie des Français.

"Je ne me suis jamais vécue comme riche"

Michèle Delaunay s'est donc employée dès lundi matin à déminer la portée de la publication de son patrimoine, dévoilé ce lundi avec celui des autres ministres à 18h sur le site du gouvernement, en insistant sur la valeur travail. "La politique ne m’a pas apporté 1 euro de plus. Ce patrimoine est le fruit de deux carrières professionnelles longues, de bon niveau, et des héritages issus de nos quatre parents", insiste-t-elle dans une interview à Sud-Ouest.

"Je suis normalement dépensière mais je ne suis pas une femme de luxe, explique encore Michèle Delaunay. [...] Je ne déteste pas les riches, mais le comportement et l’aura que s’attribuent les riches du fait de leur richesse. Je ne sais que travailler, comme mes parents." Le mérite plutôt que le privilège, donc, pour Michèle Delaunay qui affirme ne s'être jamais "vécue comme riche".

"Riche", un mot lâché comme un défaut, une verrue sur une carrière politique classée à gauche. "D'une manière générale, il n'est pas bon d'afficher un patrimoine important lorsque l'on est de gauche, confirme le politologue Luc Rouban. En période de crise, cela va créer des remous." Et quelques possibles malentendus sur lesquels ont déjà prévu de répondre d'autres ministres: Frédéric Cuvillier (Transports) organisera un point presse lundi à 16h, soit une heure avant la publication officielle de son patrimoine, tandis que Valérie Fourneyron (Sports) accompagnera sa déclaration d'un communiqué.

Riche et de gauche, l'impossible équation?

Être riche et de gauche, l'équation est-elle pour autant impossible? Pas pour Marisol Touraine, ministre de la Santé et elle aussi assujettie à l'Impôt sur la fortune (ISF) avec un patrimoine de 1,4 million d'euros. "Mon combat pour la justice sociale n'a jamais varié et ma capacité de révolte n'est pas indexée sur le niveau de patrimoine, souligne-t-elle dans Le Parisien. Ce qui reste à la fin, c'est l'exigence de justice, les valeurs. C'est ça, être de gauche."

Une position également défendue par Eva Joly. "Bien sûr qu'on peut être riche et de gauche! Être de gauche, c'est une position philosophique, une conception de la société. Avoir des moyens donne aussi des moyens d'agir sur le monde, ce n'est pas incompatible", a-t-elle soutenu lundi matin sur Europe1.


Joly : "On peut être riche et de gauche !" par Europe1fr

Deux voix qui tranchent tant les premières déclarations de patrimoine, publiées la semaine dernière de la propre initiative de plusieurs élus, mettaient en scène des ministres aux moyens modestes. Une "course à la pauvreté", avait alors raillé Marine Le Pen.

Mais ce débat sur la richesse n'est pas nouveau au sein du PS. "Un homme politique de gauche est un homme qui prend des engagements de gauche et qui agit à gauche. Sa fortune personnelle, celle de ses amis ou de ses relations, son mode de vie [...] doivent rester seconds dans l’appréciation politique que l’on porte sur lui", défendait déjà Aquilino Morelle, proche conseiller de François Hollande, en juin 2010. "La sincérité d’un engagement ou la force d’une conviction ne peuvent se mesurer à la seule aune d’un compte en banque", écrivait-il encore en réponse à Jacques Julliard qui, en janvier 2010, estimait que le PS ne pourrait présenter en 2012 un candidat à la présidentielle issu de "l’establishment financier" (point 16).

Être riche et de gauche n'est donc pas incompatible. À deux conditions toutefois selon Aquilino Morelle: "maintenir une distance" avec l'argent et "garder le contact avec les classes populaires, qui représentent la raison d’être de son action et qui devraient constituer le cœur de son électorat".

Du "tous pourris" au "tous fortunés"

Justement, cet électorat qui a porté François Hollande au pouvoir comprendra-t-il des patrimoines parfois mirobolants? Si les Français sont majoritairement favorables à cette opération "transparence", certains chiffres publiés à 17h pourraient conforter une impression de fracture consommée entre élus et citoyens, juge Luc Rouban.

"Cela donne l'impression d'être passé du 'tous pourris' au 'tous fortunés', explique le politologue à BFMTV.com. Résultat: cela va nourrir la défiance des Français qui vont désormais se demander si ce sont des riches qui ont pu se lancer en politique - et renforcer ainsi le sentiment de fermeture sociale de la politique - ou des politiques qui se sont enrichis, même si cela est légal."

Mais plus que le "voyeurisme" dénoncé par Jean-François Copé et Alain Juppé lundi matin en commentant la publication du patrimoine des élus, cette transparence est surtout une façon pour les Français de prendre acte. "Nos enquêtes soulignent que les Français ne sont ni choqués ni prêts à se ruer sur les chiffres qui seront publiés ce soir, assure Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos. Aujourd'hui, ce qu'ils attendent avant tout c'est la certitude qu'on ne leur cache plus rien. Et que la fraude fiscale sera bien combattue."

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Sandrine Cochard