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"Made in France": les relocalisations créent-elles vraiment des emplois?

Rossignol avait promis en 2011 de consolider 200 emplois, mais ne veut plus communiquer sur ce sujet désormais.

Rossignol avait promis en 2011 de consolider 200 emplois, mais ne veut plus communiquer sur ce sujet désormais. - Philippe Desmazes - AFP

Très médiatisées, les opérations de relocalisation en France de tout ou partie de la production des entreprises n'auraient en réalité qu'un faible impact sur l'emploi, selon une enquête parue ce mercredi.

Des skis Rossignol aux vélos Solex, en passant par les jouets Smoby, les relocalisations de production de l'Asie vers la France, souvent annoncées en fanfare, restent symboliques et n'ont finalement que très peu d'impact en matière d'emplois.

Trois ans après en avoir fait l'annonce aux côtés du ministre du Redressement productif d'alors Arnaud Montebourg, le fabricant de vélos à assistance électrique (VAE) Easybike a fêté ces derniers jours à Saint-Lô, en Normandie (ouest), "le retour en France" du mythique Solex, auparavant fabriqué en Chine par la société Cible qui lui a vendu la marque. Plus exactement, Easybike vient de commencer à assembler à Saint-Lô ses tous premiers VAE de marques Solex, qu'elle compte commercialiser "fin janvier début février".

Des postes disparus

La plupart des pièces détachées sont importées et côté emploi, difficile pour l'heure de parler de création. L'usine normande, qui emploie une trentaine de personnes, est née en effet du rachat par Easybike en 2013 de Mobiky, une société locale qui employait alors moins d'une dizaine de personnes et de l'activité VAE de Largardère qui, selon Easybike, comprenait une quarantaine de personnes à Romorantin (Loir-et-Cher, centre).

Si l'usine de Saint-Lô n'emploie que 30 personnes, qui jusqu'alors ne produisaient que des VAE Matra et désormais vont aussi en fabriquer de marque Solex, c'est qu'elle est "plus efficiente" que ne l'était celle de Matra dans le Loir-et-Cher, précise le directeur de l'usine de Saint-Lô Benoît Carrelet.

Rossignol ne communique plus

Autre relocalisation très médiatisée en son temps, le fabricant de skis Rossignol, avait annoncé en 2010 rapatrier la fabrication de 60.000 paires de ski de Taïwan à Sallanches (Haute-Savoie, est), ce qui devait permettre d'y consolider les 200 emplois du site à l'époque. Une performance qui lui avait valu fin 2011 la visite de Nicolas Sarkozy, alors président de la République, et candidat à sa réélection. Aujourd'hui, la direction du groupe ne souhaite plus communiquer sur le sujet.

"On ne peut pas dire que les volumes ramenés de Taïwan ont créé des emplois. Il y a peut-être eu 27 ou 28 embauches sur le moment mais depuis les effectifs baissent, par non remplacement des départs. On est 138" contre 200 en 2010, assure un délégué CGT de Sallanches qui ne veut pas que son nom soit publié. Le syndicaliste est d'autant plus inquiet que, selon lui, la fabrication des skis traditionnels, qui demande le plus de main d'oeuvre, est en train d'être transférée de Sallanches en Espagne. De son côté, la direction annonce un effectif de 147 à Sallanches et dément tout projet de réduction du personnel.

La robotisation monte en puissance

Moins médiatisée, la relocalisation de Smoby n'en est pas moins réelle. Le fabricant de jouets, qui dit réaliser 65% de son chiffre d'affaires en France, assure être progressivement monté à 70% de fabrication française contre 55% en 2008. Le reste est produit à 10% en en Espagne et 20% en Asie, selon la direction.

L'entreprise table sur une légère montée des effectifs cette année, mais après une baisse de 450 en 2012 à 420 CDI aujourd'hui par non remplacement des départs à la retraite. "Avec la montée en puissance de la robotisation, les postes évoluent. La relocalisation n'est qu'un facteur parmi tant d'autres sur l'emploi", explique Thomas Le Paul, directeur général de cette entreprise bénéficiaire basée dans le Jura. Smoby appartient depuis 2008 à la société familiale allemande Simba, qui avait alors repris 360 salariés sur 900.

Un emploi relocalisé pour 10 délocalisés

Chez Heller-Joustra, 80% des jouets Joustra sont fabriqués en France, alors qu'ils venaient à 100% de Chine en 2009, selon Yvonne Demorest directrice du site de production à Trun (Orne, ouest). L'usine menacée de disparition en 2006 a vu ses effectifs remonter à 45 en 2015 mais elle a dû en supprimer 15 l'an dernier à la suite de gros problèmes de trésorerie. Pour un impact significatif sur l'emploi, "il aurait fallu que nos politiques réfléchissent avant d'ouvrir nos marchés à la Chine", avance Thomas Le Paul.

Selon El Mouhoub Mouhoud, professeur à Paris-Dauphine, 150 sociétés ont annoncé des relocalisations en France depuis 2005, soit 5% des entreprises qui ont délocalisé. "Ce n'est pas énorme. Et les emplois créés sont relativement marginaux. Pour 10 emplois délocalisés, on en relocalise un. C'est normal puisque les relocalisations concernent principalement des activités robotisables", explique l'universitaire qui s'apprête à publier une version actualisée de son livre "Mondialisation et délocalisations des entreprises".

N.G. avec AFP