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Pourquoi sous les 1,5% de croissance, le chômage ne baisse pas... en France

190.000 chômeurs de catégorie A ont rejoint les rangs de Pôle Emploi en 2014.

190.000 chômeurs de catégorie A ont rejoint les rangs de Pôle Emploi en 2014. - Philippe Huguen - AFP

Les économistes s'accordent à considérer que la France doit dégager une croissance d'au moins 1,5% pour inverser la courbe du chômage. En Allemagne, il suffit de 1,1%.

L'échec reste cuisant. Mardi le verdict est tombé: près de 190.000 demandeurs d'emplois sans aucune activité sont venir grossir les rangs de Pôle Emploi en 2014. Après 2013, le chômage a donc encore mis au tapis le gouvernement l'an passé.

Ce mercredi matin, le ministre des Finances Michel Sapin a reconnu sur RTL qu'"il faut regarder en face le niveau record de chômage". Et pour arrêter l'hémorragie, il faut selon lui "viser 1,5% voire 2% de croissance". Sur le diagnostic, il est difficile de donner tort au grand argentier des finances françaises.

"Il y a un consensus des économistes pour estimer un niveau de croissance à partir duquel le taux de chômage baisse en France. Il se situe ainsi autour de 1,3-1,6%. Mais ce taux de croissance évolue au cours du temps", explique ainsi Axelle Lacan, économiste chez Crédit Agricole SA.

Une estimation confirmée par Eric Heyer, économiste à l'OFCE qui situe ce seuil "autour de 1,5%". Michel Sapin fait donc preuve d'une certaine prudence quand il affirme avoir besoin d'une croissance de 1,5% à 2%.

Ce que ne dit toutefois pas le ministre c'est que nos voisins européens n'ont pas besoin de faire autant. L'Allemagne, par exemple, ne doit générer qu'une croissance de 1,1%, selon les calculs des économistes du Crédit Agricole. De fait, l'Hexagone souffre de plusieurs handicaps qui sont, paradoxalement, également des atouts.

> L'impact de la population active

"La France a une population active qui est plus dynamique qu'ailleurs. En moyenne, environ 800.000 jeunes arrivent sur le marché du travail quand 650.000 seniors partent à la retraite. Il y a donc environ 150.000 nouveaux entrants sur le marché du travail chaque année", explique Eric Heyer.

Créer des postes ne suffit donc pas à absorber le chômage. Il faut en générer suffisamment pour absorber cette force de travail supplémentaire. Une équation bien plus simple à résoudre outre-Rhin où "il y a plus de seniors qui partent à la retraite que de jeunes qui arrivent dans le monde du travail", souligne l'économiste de l'OFCE. Selon lui, seuls deux pays en zone euro connaissent une telle situation: la France et l'Irlande. "Cette dynamique est positive quand il s'agit de résoudre le problème des retraites. Mais, à court terme, elle rend plus difficile la baisse du chômage", ajoute-t-il.

Un phénomène compliqué à gérer pour l'Hexagone. "L'impact de la population active est très différent selon les pays et dépend du caractère plus ou moins rigide du marché du travail", rappelle Axelle Lacan. Or, "en France, on est dans le cas d'un marché du travail plutôt rigide. D’une part, malgré la progression du chômage, il y a eu un freinage des hausses de salaires mais pas d'arrêt. D’autre part, on constate une certaine inertie de l’emploi aux variations de l’activité économique", juge-t-elle.

> Des gains de productivité trop forts 

C'est le deuxième écueil, plus technique: le taux de croissance nécessaire pour faire baisser le chômage dépend "des gains de productivité". Explication: "les gains de productivité consistent à produire plus avec des ressources constantes. Ils reflètent, par exemple, l'impact du progrès technologique. Des secteurs comme l'industrie y sont plus sensibles que d'autres, comme les services", résume Axelle Lacan.

Eric Heyer préfère, lui, donner un exemple concret: "vous êtes une entreprise de 100 salariés, et vous produisez 100 jouets. L'année suivante vous en produirez 101 car vos salariés auront acquis de l'expérience ou vous aurez reçu de nouvelles machines plus performantes". Problème: "ces gains de productivité signifient également que si votre demande reste à 100, vous n'avez plus besoin que de 99 personnes pour satisfaire votre production. Vous avez donc des marges de manœuvre pour licencier", avertit-il. "Plus ces gains de productivité sont élevés, plus il est nécessaire d'avoir une croissance élevée pour faire baisser le chômage", conclut Axelle Lacan. 

Et, si l'on en croit une étude de l'économiste Gilbert Cette portant sur la période 2007-2012, la croissance annuelle moyenne de la productivité horaire du travail a été de +0,27% en France, contre 0,02% en Allemagne. Pour le Royaume-Uni, le chiffre est même négatif (-0,35%). 

"Le Royaume-Uni a dernièrement créé peu de postes hautement qualifiés. C'est un problème pour les gains de productivité futurs. Mais l’emploi augmente fortement depuis 2012. La grande flexibilité de leur marché du travail fait que le Royaume-Uni a besoin de moins de croissance pour faire baisser le chômage", souligne Guillaume Menuet, chef économiste pour la zone euro chez Citigroup.

A première vue, il faudrait donc que la France soit moins productive pour faire baisser son chômage. Mais la vérité est évidemment plus complexe. "Tout le problème est que ces gains de productivité obligent à dégager plus de croissance pour faire baisser le chômage. Mais, dans le même temps, ils sont nécessaires pour créer de la croissance", explique Axelle Lacan. Un sacré casse-tête.

>> Retrouvez également l'éditorial de Nicolas Doze sur ce sujet

Julien Marion