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Accord Canal+/Apple: le début de la fin pour les box TV des opérateurs?

En proposant le boîtier TV d'Apple pour l'accès à ses contenus vidéo via Internet, Canal Plus met en retrait son décodeur. Il ouvre une brèche dans la stratégie des opérateurs télécoms qui ont imposé le triple play avec décodeur dédié pour l'accès à la télévision sur Internet.

Les jours des offres télécoms triple play (téléphonie, internet, télévision) propres aux opérateurs français sont-ils comptés? C'est, en creux, ce qu'on pourrait envisager à la vue de l'accord passé par Canal Plus avec Apple. La filiale de Vivendi fait sauter un "tabou" en mettant fin à sa stratégie commerciale axée sur son propre décodeur pour permettre à ses abonnés de regarder son bouquet de chaînes en passant par le web et l'internet fixe. C'est en fait celui d'Apple qui sera désormais proposé (à partir du 17 mai 2018) comme décodeur télé aux clients Canal Plus en France (hors satellite) désireux de passer par le web et internet pour accéder à ses contenus.

"L’Apple TV représente le parfait écrin pour nos contenus premiums exclusifs, en particulier le cinéma, le sport et nos créations originales" s'est empressé de déclarer Frank Cadoret, directeur général du groupe. De la même manière qu'on louait jusqu'à présent un décodeur Canal, le client pourra louer un boîtier Apple TV au même prix, soit 6 euros par mois.

En s'adossant au géant américain dont l'offre en propre de contenus vidéos est très abondante, Canal Plus fait le choix commercial risqué d'une alliance avec un des Gafa aux ambitions audiovisuelles les plus affichées. Mais, la filiale de Vivendi préfère privilégier l'expérience utilisateur et l'ergonomie d'utilisation jugées bien meilleures chez Apple qu'avec un décodeur Canal.

Une menace pour les décodeurs TV des opérateurs

Ce revirement stratégique interpelle directement les opérateurs télécoms. Tous ont fondé leur stratégie commerciale haut débit sur des offres triple play, initiées par Free en 2003. Depuis quinze ans, les quatre grands acteurs des télécoms incluent des bouquets de chaînes de télévision via un décodeur fourni systématiquement avec la box qui gère la connexion haut débit en ADSL ou en fibre optique. Ce choix leur permet de contrôler totalement la relation avec l'abonné pour l'ensemble des services.

Pour les clients -de plus en plus nombreux- qui regardent la télévision (films, séries) directement sur Internet (en mode "OTT", over the top), comme par exemple les 3,5 millions de Français clients de Netflix, point n'est besoin en théorie de décodeur télé: un simple accès Internet haut débit de bonne qualité suffit. Pour les opérateurs télécoms, cela signifie qu'une partie de la clientèle attend d'eux la fourniture d'un seul boîtier d'accès à Internet. Ils n'ont pas besoin du décodeur TV pour regarder la télévision ou des contenus audiovisuels pour lesquels ils s'en remettent à d'autres acteurs comme les géants de l'internet. Google, Apple, Amazon, Netflix ou le Français Molotov TV fournissent applications ou mini-boîtiers (ou clés UBS ou HDMI) dédiés et conçus sur mesure pour l'accès à leur catalogue vidéo sur internet. 

Bouygues Telecom et SFR jouent la carte du "double play"

Du côté des opérateurs, la réaction ne s'est pas fait attendre. Bouygues Telecom a été l'un des premiers opérateurs (avec SFR et son offre Red Box DSL dont la télévision est en option) à anticiper cette demande en découplant l'accès à la télévision de son offre internet haut débit. La filiale de Bouygues a lancé il y a quelques semaines Bbox Fit, un abonnement "double play" à internet et au téléphone (illimité) sur Internet, sans télévision ni décodeur, le tout pour 23 euros par mois (12,99 euros/mois la première année). Libre ensuite à l'abonné de regarder des séries sur Internet via l'appli Netflix ou Molotov TV, le boîtier Apple TV, les clés HDMI FireTV Stick d'Amazon ou Chromecast de Google.

La menace qui pèse à terme sur les décodeurs TV des opérateurs vient aussi des investissements massifs que les Gafa réalisent en intelligence artificielle et reconnaissance vocale. Ils risquent d'accentuer leur avance technologique en matière d'interaction avec les utilisateurs et de navigation parmi les programmes, sur l'interface propre aux box et décodeurs "made in France".

Mais, contrairement à Canal Plus, identifié comme un acteur reconnu des contenus et des médias, le danger d'une approche commerciale axée sur le seul accès "sec" à Internet serait, pour les opérateurs, d'être ravalés au rang de fournisseur de tuyaux télécoms, "statut" contre lequel ils luttent depuis des années. Il n'est pas certain qu'ils acceptent un retour en arrière alors que les offres triple play génèrent des revenus moyens par abonné (ARPU) élevés: à plus de 30 euros/mois pour l'ADSL voire plus de 40 euros avec la fibre optique.

Frédéric Bergé