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Airbnb fait peur aux palaces parisiens

Le Bristol, qui revendique une clientèle majoritairement européenne, a vu son chiffre d'affaires chuter de 20% au premier semestre.

Le Bristol, qui revendique une clientèle majoritairement européenne, a vu son chiffre d'affaires chuter de 20% au premier semestre. - Grenouille verte - Wikimedia - CC

Les grands hôtels parisiens, confrontés à la désaffection de la clientèle du Moyen-Orient et des Etats-Unis, pâtissent en outre de la concurrence des demeures de luxe proposées à la location sur Airbnb.

Déjà confrontés à une conjoncture difficile, les palaces parisiens ne cachent plus leur inquiétude face au succès de la plate-forme de location entre particuliers Airbnb sur laquelle fleurissent désormais des offres d'appartements de luxe.

En région parisienne, Airbnb affiche quelque 50.000 offres - il n'en avait que 7.000 pour toute la France en 2012 - et dans la capitale elle-même, il propose entre 380 et 400 appartements à plus de 500 euros la nuit, dont une quarantaine à plus de 1.000 euros. "Maxime and Fanny" proposent pour 1.700 euros la nuit un appartement qui, disent-ils, a appartenu à Brigitte Bardot et dont la terrasse de 140 m2 offre une vue époustouflante à 360° sur tout Paris.

Avec de possibles services de chauffeurs, cuisiniers ou femmes de chambre, ces appartements très haut de gamme sont le plus souvent situés à proximité des grands hôtels et des boutiques de luxe prisés par la clientèle fortunée.

Jusqu'à 20.000 euros la nuit

Cette concurrence inattendue, que l'on croyait jusqu'ici réservée à l'hôtellerie classique, se développe au moment où les attentats de janvier contre Charlie Hebdo et les manifestations de soutien aux victimes qui les ont suivis ont fait fuir la clientèle moyen-orientale, particulièrement friande des suites de ces établissements hors normes, dont les prix peuvent dépasser les 20.000 euros la nuit.

La clientèle américaine, autre pilier des palaces de la capitale, est également moins présente, sans parler de la chute du tourisme russe, pour cause de baisse du rouble, et de la désaffection des Brésiliens aux prises avec la crise économique qui frappe leur pays. "L'industrie souffre. Le Moyen Orient boude la France, il y a aussi chez les Américains le sentiment d'un antisémitisme latent en France", déclare Didier le Calvez, PDG du Bristol, dont le chiffre d'affaires a reculé de 20% au premier semestre avec un taux d'occupation tombé à 61,2% contre 69,2% un an plus tôt.

"Le marché parisien va être très dur. Il faudrait être naïf pour penser que ce ne sera pas difficile", ajoute-t-il, jugeant "totalement déloyale" la concurrence d'Airbnb, qui bénéficie selon lui d'un traitement fiscal et réglementaire avantageux. Celui qui dirige aussi la branche "prestige" de la fédération hôtelière française (UMIH), entend faire des propositions au gouvernement d'ici la fin de l'année afin que "les règles du jeu soient plus équilibrées".

Quelques dizaines d'annonces seulement

François Delahaye, directeur général du Plaza Athénée, évoque pour sa part une "vraie attaque aux impôts". Cette analyse est contestée par le responsable de Airbnb France, qui souligne que le marché de la location entre particuliers est organisé en France, en particulier depuis le vote de la loi Alur qui permet notamment à un particulier de louer sa résidence principale jusqu'à quatre mois par an. "L'ultra haut de gamme avec des chambres supérieures à 1.000 euros la nuit ne représente que quelques dizaines d'annonces seulement", déclare Nicolas Ferrary, directeur France d'Airbnb. "C'est totalement différent du service haut de gamme d'un palace", ajoute-t-il.

Le responsable du George V estime pour sa part que le secteur doit se préparer à voir une partie de sa croissance future captée par ces plates-formes, qui ont vocation à se multiplier. Déjà, d'autres sites comme le Collectionist, proposent à la location, sur le modèle d'Airbnb, des appartements de prestige appartenant à des particuliers. "Il est évident qu'une partie de la clientèle, surtout familiale, quittera les palaces", estime José Silva, directeur général du Four Seasons George V et vice-président régional des Four Seasons de Genève et Lisbonne.

Le palace qui compte parmi les plus célèbres du monde pourrait, selon lui, perdre à terme environ 10% de sa clientèle. "Mais dans le même temps, la richesse et la demande mondiale vont grandir et les hôtels doivent continuer d'offrir une expérience radicalement différente", ajoute-t-il.

La concurrence des boutiques-hôtels

A Paris, première destination touristique mondiale, la conjoncture reste pour le moment difficile pour ces hôtels d'exception. Au Plaza Athénée, "la première partie de l'année s'est mal passée", confie François Delahaye qui n'a pas hésité à abaisser de 20% le prix de certaines chambres au creux de l'hiver. "Mais le mois de juin a été très bon", observe-t-il, disant profiter des travaux de sa récente rénovation qui, en ajoutant 20 suites au 80 existantes, sur un total de 208 clés, ont permis à l'hôtel de passer son prix moyen par chambre à 1.180 euros, contre 1.030 euros auparavant.

Le George V, qui revendique comme le Bristol une clientèle majoritairement européenne, a vu la baisse de son taux d'occupation limitée à 5% sur les six premiers mois (à 66%) grâce à une reprise de la fréquentation au deuxième trimestre. Mais un problème plus structurel, lié à la forte augmentation des capacités hôtelières, risque d'affecter plus durablement le marché. Alors que la capitale comptait sept palaces historiques en 2008, les ouvertures du Shangri-La, du Mandarin Oriental et enfin du Peninsula sont venues réveiller un secteur jusque-là peu bousculé par la concurrence.

Phénomène plus récent, le créneau du très grand luxe est investi par les "boutique hôtels" comme La Réserve, ouvert début 2015 et qui affiche avec ses 40 chambres un standing et un prix moyen - environ 1.000 euros - dignes des plus grands établissements de Paris. "Au choc de la demande s'ajoute un choc d'offre", commente Gwenola Donet, directrice France du cabinet JLL Hotels & Hospitality.

La réouverture du Crillon et du Ritz redoutée

Dans ces circonstances, le secteur redoute la réouverture de deux mythiques adresses fermées pour rénovation: celle du Crillon en 2017 et surtout celle du Ritz, l'icône absolue, prévue fin 2015. Avec le Cheval Blanc et ses 200 chambres attendues en 2018 à la place de la Samaritaine (propriété de LVMH), l'offre aura augmenté de plus de 60% entre 2008 et 2018, selon JLL. D'ici à 2019, le taux d'occupation des palaces pourrait perdre huit à 10 points, selon ce cabinet. Après avoir atteint 78% en 2008, ce taux était tombé à 70% en 2014.

Les palaces déploient donc toutes leurs armes pour fidéliser une clientèle qui "aime voir et être vue". Les rénovations sont indispensables (100 millions d'euros de travaux au Plaza l'an dernier, 80 millions au George V prévus sur cinq ans), comme des "spa" toujours plus confortables ou des restaurants capables aussi d'attirer les Parisiens.

Ces établissements, détenus par des investisseurs de très long terme comme le sultan de Bruneï (Plaza), le prince saoudien Al-Walid (George V) ou la richissime famille allemande Oetker (Le Bristol) sont des actifs destinés à la préservation du capital. Si leur rentabilité d'exploitation peut atteindre 30% en période faste, le rendement de l'investissement n'excède pas 3% à 4%, compte-tenu des montants colossaux investis en immobilier ainsi qu'en travaux.

N.G. avec Reuters