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améliorer l'éducation et redonner envie d'apprendre

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- - Pixabay/Nadine Doerle

L'éducation et la formation génèrent beaucoup de données encore largement sous-exploitées. Elles pourraient pourtant aider les élèves à mieux s’orienter tout en offrant un outil aux professeurs pour évaluer les dispositifs plus efficacement et surtout pour les adapter aux élèves en temps réel.

Répondre à un QCM, visionner une vidéo pédagogique, faire une requête sur un moteur de recherche… Apprendre passe souvent par un surf sur le Web. Or, l’internaute-apprenant laisse des traces de toutes ses actions. Dès lors, pourquoi ne pas exploiter ces « big data » pour améliorer l’éducation ?

C’est désormais ce sur quoi travaillent des universitaires, des entrepreneurs et des institutions. De la même façon que des entreprises comme Google, Amazon ou Netflix observent les internautes pour mieux les comprendre en tant que consommateurs, il est désormais possible de mieux connaître les internautes en tant qu’apprenants, à la fois individuellement et en tant que collectif. 

Ne plus se rater dans l'orientation des élèves

L’analyse prédictive des grandes masses de données revêt différentes applications. La start-up Cialfo, créée en 2012 à Singapour, a par exemple mis au point un service baptisé Companion qui aide les étudiants à s’orienter vers une formation qui correspond à leurs attentes.

De même en France, l’ONG américaine Bayes Impact, fondée par un jeune Français de 24 ans, Paul Duan, collabore avec Pôle Emploi pour accompagner les chômeurs et déterminer selon leur profil quel est le cheminement le plus adapté pour un retour à l’emploi. C’est bien grâce à l’exploitation des grandes masses de données qu’a vu le jour le site Bob-emploi, lancé en novembre 2016.

L’analyse des données peut aussi contribuer au recrutement de nouveaux étudiants au sein des établissements d’enseignement supérieur. "Des études récentes montrent que l’analyse prédictive permettra de déterminer quels étudiants vont s’inscrire à une formation, lesquels seront diplômés et lesquels deviendront des membres actifs du réseau d’anciens de la formation, une fois entrés dans le monde du travail", expliquait récemment la consultante britannique Marguerite Dennis sur un blog dédié à l’éducation.

Tester les méthodes d’enseignement

À grande échelle, la remontée des données contribue à évaluer l’efficacité d’un système éducatif. "Jusque-là dans l’éducation, la seule mesure dont nous disposions est l’évaluation en fin de leçon. Mais nous pouvons changer car les processus éducatifs deviennent numériques, avec les MOOCs par exemple. Nous avons désormais la capacité d’évaluer la façon d’enseigner qui fonctionne ou ne fonctionne pas en fonction de l’élève, de son âge", expliquait Kenneth Cukier, auteur du livre “Learning with big data”, dans un interview réalisée en avril 2014. L’analyse des données massives aide à concevoir et mettre en œuvre des dispositifs de formation plus efficaces, comme le montrent le réseau Bridge au Kenyo ou l’initiative Saber (Systems Approach for Better Education Results) de la Banque Mondiale.

Mais l’exploitation des données peut avoir des applications encore plus avancées dans le domaine éducatif. Testé dans plusieurs écoles et universités à travers le monde, l’apprentissage adaptatif constitue "l’une des applications les plus intéressantes" du Big data dans ce domaine, estime François Taddeï, le directeur du Centre de Recherche Interdisciplinaire (CRI) de Paris. Il s’agit d’adapter en temps réel les exercices en ligne en fonction de la façon d’apprendre de la personne qui les réalise. En effet, le comportement d’un élève devant un dispositif numérique d’apprentissage révèle ce qu’il a besoin d’approfondir, sa manière d’apprendre et d’assimiler.

Les bénéfices de l'apprentissage adaptatif et des "learning analytics"

Des algorithmes puissants permettent d’exploiter en temps réel les informations remontées afin d’orienter la suite de la session éducative vers un enseignement davantage sur-mesure. "Il devient possible d’adapter l’intervalle entre deux contrôles en fonction des réussites et des échecs de chaque élève", décrit François Taddeï. Lors d’exercices sur tablettes (comme dans ce reportage d’Arte Future par exemple ), "on peut faire travailler ensemble des élèves ayant bien compris avec d’autre n’ayant pas encore compris l’exercice grâce au suivi des résultats en temps réel par l’enseignant", poursuit François Taddeï.

Aux Etats-Unis, cela fait plusieurs années que des tests sont menés et les résultats tendent à démontrer l’efficacité de l’apprentissage adaptatif. Les enseignants de l'Université d'Etat de l'Arizona ont ainsi observé une progression de 10% du taux de réussite et une diminution du taux d’abandon de 50%. Des start-up de l’EdTech se développent, à l’image de la newyorkaise Knewton, qui s’inscrit dans une industrialisation de la personnalisation de l’éducation.

En France, la plate-forme de MOOCs Unow promet ainsi de s’adapter aux apprenants. De même, Domoscio commercialise un logiciel d’aide à l’apprentissage conçu grâce aux avancées en sciences cognitives et via des algorithmes adaptatifs.

Les données permettent d’avoir un retour rapide sur plusieurs méthodes d’enseignement et de choisir via l’itération, c’est-à-dire la répétition de ces tests, quelle est la meilleure méthode d’enseignement en fonction du contexte. Le lean start-up est alors appliqué à l’éducation, comme l’expliquait le développeur et entrepreneur Khurram Virani, dans une intervention TEDx à Vancouver en novembre 2015.

La formation professionnelle n’y échappe pas

Enfin, ces progrès d’apprentissage s’appliqueront aussi en entreprise, pour faire évoluer la formation professionnelle. "Il est probable que cela se développe au moins aussi vite en entreprises. Il sera notamment possible d’encourager au partage d’information entre collègues. Pour cela, on peut imaginer de l’appariement de compétences via une application. C’est-à-dire qu’une application Web interne à l’entreprise pourra détecter et mettre en contact deux personnes ayant des compétences complémentaires pour s’entraider sur un projet précis", se félicite François Taddeï.

Bref, les données pourraient bien bouleverser la manière d’apprendre, que ce soit en classe ou dans la vie professionnelle. Les avancées en la matière n’en sont qu’à leurs balbutiements, et comme toujours lorsqu’il est question d’exploitation de données personnelles, leur déploiement s’accompagne d’un enjeu éthique majeur : "Il faudra s’assurer que l’apprenant, est le premier bénéficiaire de l’exploitation de ces données, et non pas les GAFA", conclue François Taddeï. Une considération qu’il aura l’occasion de souligner dans son rapport au sujet de l’innovation pédagogique, commandé par la ministre de l’Education Nationale Najat Vallaud-Belkacem et attendu pour mars 2017.

Adeline Raynal