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Après Engie, la crise chez Suez

Le mandat du directeur général de Suez Jean-Louis Chaussade se termine en 2019.

Le mandat du directeur général de Suez Jean-Louis Chaussade se termine en 2019. - ERIC PIERMONT / AFP

Le spécialiste de l’eau cumule les déboires financiers et engage une cure d’austérité. Sur fond de guerre de "double succession", l’ambiance tourne au vinaigre en interne.

Vous avez aimé la crise chez Engie, vous adorerez celle chez Suez. Le spécialiste de l’eau et des déchets, dont Engie détient 32,5%, traverse une zone de turbulences. Il y a un mois, il a subi une dégringolade de 17% de son cours de Bourse en une journée. La raison officielle: 45 millions de pertes inattendues. Une goutte d’eau dans des marges de 1,3 milliard d’euros. Mais les marchés n’ont pas apprécié l’opacité dont a fait preuve la direction de Suez. "Début janvier, il y a eu un débat en interne sur le montant des provisions à passer, reconnait un bon connaisseur du groupe. Certains prônaient 100 ou 150 millions, d’autres de ne rien annoncer".

Un mois plus tôt, mi-décembre, le patron Jean-Louis Chaussade présentait sa stratégie aux analystes. Pas un mot sur les difficultés en Inde et en Espagne qui ont officiellement justifié cette révision des performances. Et pour cause, la vérité semble ailleurs. "Le contrat en Inde n’a même pas été résilié et le contexte politique en Catalogne n’a rien à voir avec les problèmes en Espagne", s’indigne un proche de Suez.

Certes, la filiale espagnole Agbar voit des municipalités renégocier à la baisse leurs contrats d’eau ou en reprennent elle-même la gestion. Une situation similaire à ce qu’il se passe en France depuis 5 ans. Mais Suez ne l’a pas précisé. Il fallait cacher les difficultés d’Agbar, la première grande acquisition du patron Jean-Louis Chaussade en 2009.

Plus de 600 millions de cessions

Mais il fallait surtout ne pas avouer celles de GE Water, la filiale rachetée à General Electric l’an passé pour plus de 3 milliards d’euros! Mi-décembre, la direction de Suez visait encore une croissance du chiffre d’affaires de 3% pour sa nouvelle acquisition. Mais un mois plus tard, ses ambitions étaient revues à la baisse. "Les analystes ont réalisé que les marges baisseraient de 100 à 200 millions par rapport à ce qui était prévu" explique un cadre. Ceux de la banque Oddo le disent tout net: "l’essentiel de la baisse de nos estimations de résultat est lié à une plus faible contribution qu’anticipé de GE Water".

Ces contre-performances passent mal chez le premier actionnaire de Suez, Engie, qui a déboursé 250 millions d’euros l’an passé pour financer le rachat de la division de General Electric. Tous les grands actionnaires ont souscrit une augmentation de capital à 15 euros par action quand celle-ci ne vaut plus que 10 euros…

Du coup, la direction de Suez a lancé en interne un vaste plan d’austérité. Toutes les branches (eau, déchets…) doivent céder des filiales pour un total de 600 à 800 millions d’euros, selon une source proche de la direction. D’abord, environ 20% du capital de la filiale américaine United Water sera vendu à des investisseurs. Cette opération devrait rapporter environ 300 à 400 millions d’euros. "Les investissements, les projets, tout est gelé, peste un salarié. C’est la panique à bord car il faut sauver 2018, la dernière année de Chaussade". Contacté, Suez n’a pas souhaité s’exprimer avant la publication de ses résultats 2017, le 1er mars.

Guerre de succession

La crise chez Suez intervient au pire moment : la double succession au sommet du groupe. Le président Gérard Mestrallet et le directeur général Jean-Louis Chaussade seront tous deux atteints par la limite d’âge dans un an. A peine débarqué de la présidence d’Engie après deux années de crise avec la patronne Isabelle Kocher, le premier fait face à une nouvelle situation tendue. Sauf que ses relations avec le patron de Suez sont bonnes. Selon plusieurs sources, Gérard Mestrallet serait prêt à lui céder son fauteuil de président l’an prochain.

Il est en tout cas au cœur de cette nouvelle bataille pour trouver un successeur à Jean-Louis Chaussade. La présidente du comité des nominations, Anne Lauvergeon, très proche de Gérard Mestrallet, a démarré le processus de sélection. En décembre, elle a reçu tous les membres du comité exécutif de Suez. Cinq candidats sont identifiés : Marie-Ange Debon, Jean-Marc Boursier, Jean-Yves Larrouturou, Bertrand Camus et Philippe Maillard. Le cabinet de recrutement Spence Stuart aurait également été mandaté pour proposer des profils externes. Contacté, ce dernier n’a pas souhaité commenter.

Entre guerre de succession et coupes budgétaires, les cadres décrivent une "ambiance délétère de fin de règne". Après deux ans de crise chez Engie, sa filiale Suez entame à son tour une année tendue.

Un ancien ministre au conseil d'administration?

La rumeur circule avec insistance dans les couloirs de Suez. L’ancien secrétaire d’État à la réforme de l’État Jean-Vincent Placé pourrait devenir administrateur du groupe. Pousse-t-il lui-même sa candidature ? L’intéressé n’a pas souhaité nous répondre. Sa proximité avec Suez est forte depuis de longs mois. L’an passé, Jean-Vincent Placé a milité pour que le directeur général Jean-Louis Chaussade soit décoré du grade d’Officier de la Légion d’honneur. Un geste que n’a pas oublié le patron de Suez qui l’avait remercié dans son discours lors de la cérémonie à laquelle assistait Manuel Valls. Chez Suez, personne n’a oublié que l’ancien député écologiste a aussi décoré le directeur du développement Benjamin Ferniot, également conseiller régional UDI d’Ile-de-France. Il a aussi participé à plusieurs conventions du groupe ces derniers mois. Et le bruit court qu’il est devenu consultant pour le spécialiste de l’eau à travers sa société CMDTP…

Matthieu Pechberty