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Après l’Hadopi, Eric Walter fait son retour vers le futur

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L’ancien secrétaire général de la Hadopi lance un site pour redonner vie à l’Orchestre symphonique d’Europe qu’il a créé dans les années 1980. Une expérience dans laquelle il inventait un modèle culturel encore d’actualité. Entretien.

Audace et utopie. Cette formule lancée par Jack Lang dans les années 1980 est restée le leitmotiv guidant Eric Walter. L’ancien secrétaire général de la Hadopi, licencié cet été, n’est pas encore prêt à aborder pas son départ de la haute autorité. Le sujet est chaud tant émotionnellement que juridiquement. S’il s’exprime aujourd’hui, c’est pour évoquer le lancement d’un projet qui lui tient à cœur et dans lequel il s’est investi dix années durant.

Avant d’entrer en politique et au sein de l’Hadopi, Eric Walter a créé avec un groupe d’amis l’Orchestre symphonique d’Europe. C’était dans les années 1980. Cette formation privée, donc sans subvention, était composée d’une centaine de musiciens de toute l’Europe continentale, au delà de celle des 12 de l'époque.

L'Orchestre Symphonique d'Eruope lors du concert de Johnny Hallyday de 1989 à Bercy.
L'Orchestre Symphonique d'Eruope lors du concert de Johnny Hallyday de 1989 à Bercy. © Site OSE

Cette organisation leur a permis de dépasser les barrières de la musique classique. Ils ont joué pour des films (Delta Force…), pour des émissions de télés, ont fait des concerts avec des stars de la chansons (Johnny Hallyday, Jacques Higelin, Diane Dufresne et animé des événements historiques comme la réception à Paris de Nelson Mandela, quelques semaines après sa libération avec Didier Lockwood. 

Vous lancez un site en mémoire de l’Orchestre Symphonique Européen qui s’est éteint il y a 20 ans déjà. Pourquoi ?

Eric Walter. Je me suis aperçu que cette aventure, qui a duré dix ans, avait disparu. Même sur Internet qui est le le lieu de mémoire par excellence. J’ai recontacté quelques personnes, repris mes archives, j’ai reconstitué les dix années qui ont vu une expérience artistique phénoménale.

On est dans les années 80 et nous avons innové en matière culturelle d’une façon incroyable. Cet orchestre a créé la formation en alternance de musiciens professionnels. C’était aussi une formation privée, non-subventionné, qui jouait aussi bien de la musique classique que des bandes originales de films notamment avec Georges Garvarentz, mais aussi pour des production américaines, ou de la variété qui à ce moment, privilégiait les synthétiseurs. Tout avait disparu des radars.

Pourquoi ce retour aux sources ?

E.W. A cette époque, j’étais immergé dans le milieu artistique, avec les artistes, pas seulement avec les producteurs ou les maisons de disques. Avec ce site il n’est pas question de créer un business, ni de remonter l’orchestre. Mon but est de laisser une trace car tous les souvenirs, physiques ou mémoriels, étaient dispersés chez les uns ou les autres. J’ai retrouvé des enregistrements, des photos, des vidéos que je mets en ligne peu à peu.

En quoi cet orchestre était-il vraiment original ?

E.W. C’était une start-up avant l’heure. Il y avait des investissements en capital risque, la Caisse des dépôts et la banque qui était la holding de tête du groupe Lagardère. Aujourd’hui ce serait impossible ou, en cas, très difficile.

C’était aussi une aventure humaine exceptionnelle qui a fondé la carrière de plusieurs d’entre nous. Alain Seban un est devenu président du centre Pompidou, Laurent Kupferman est devenu écrivain, Olivier Benezech est metteur en scène, Olivier Holt est chef d’orchestre. Je voulais faire revivre cela.

N’est-ce pas aussi votre expérience et votre départ de la Hadopi qui vous a poussé à lancer ce projet?

E.W. Pas vraiment. Le seul lien avec la Hadopi est la polémique avec le milieu du cinéma. C’est ce qui a fait émerger cette histoire. Après ces controverses, j’ai compris que les représentants de ce secteur avaient l’impression que je m’exprimais en défaveur de la création. Je me suis alors demandé si je n’avais pas fait un syndrome de Stockholm en basculant dans le camp des internautes ou si j’avais toujours cette fibre passionnelle avec le monde artistique. C’est ce qui m’a amené à remonter dans le temps pour voir d’où j’étais parti. Je me suis rendu compte que ce n’était pas un syndrome de Stockholm mais bien la fibre créatrice qui m’anime.

Sur votre site, il y a des contenus culturels protégés (audio et vidéo). Est-ce légal?

E.W. Je vois où vous voulez en venir. Non, il ne s’agit pas d’un site pirate. Ils sont en streaming et tout est déclaré à la Sacem. J’ai aussi vérifié auprès des producteurs la légalité de ces mises en ligne. Cela a été très intéressant. Je me suis aperçu, qu’en fait, ça n’a pas été si difficile que cela de faire un site culturel légal. Il faut prendre le temps d'effectuer les démarches.

L’accueil à la Sacem a été superbe, sans avoir eu à contacter des connaissances du temps de l’Hadopi. Pareil pour les maisons de production. Pour la vidéo, cela fut un peu plus compliqué. J’ai contacté l’INA pour mettre en ligne les passages télés que nous avons faits, notamment ceux avec Jacques Martin pour qui nous avons accompagné Jessy Norman, Barbara Hendricks ou Placido Domingo ou le concert de Johnny à Bercy. Il n’y a pour l’instant que les versions audio.

Au delà des personnes qui ont participé à cet orchestre, que voulez-vous apporter au public ?

E.W. Je vais paraphraser Jack Lang: "Audace et utopie". En 1980, il écrivait que la culture nécessitait en premier lieu de ces deux qualités. Ce projet était dans cette ligne et c’est ce que je veux témoigner. Les choses ont changé, les temps aussi mais ce qui reste d’actualité c’est cette recette. Et on voit bien que même aujourd’hui, les grands succès culturels sont à la fois audacieux et utopistes.

La seule différence avec les années 80, c’est que le coût de l’audace et de l’utopie est bien plus élevé aujourd’hui. Mais la création audacieuse reste ancrée dans la culture française, même si la prise de risque est plus grande. C’est cela que je veux rappeler aux uns et transmettre aux autres. L’acronyme de l’Orchestre Symphonique d’Europe, OSE, n’a pas été choisi au hasard.

Pascal Samama