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Beaujolais nouveau: le millésime 2015 a un goût très amer

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La grande fête du beaujolais soulève de moins en moins l'enthousiasme. Depuis 2009, les ventes ne cessent de baisser. Les faillites se multiplient. Les négociants cherchent des réponses à cette crise en innovant.

Voici très exactement trente ans que, tous les troisièmes jeudis de novembre, les amateurs de beaujolais nouveau sont invités à déguster les bouteilles issues des vendanges effectuées quelques semaines plus tôt. Mais cette année, les viticulteurs du beaujolais n’ont pas vraiment le cœur à la fête. Ils vivent en effet une crise sans précédent. Le 25 septembre dernier, un demi-millier d’entre eux ont même décidé de manifester leur colère en défilant devant la préfecture de Villefranche-sur-Saône (Rhône).

"La sauvegarde des exploitations a un prix" ou "Viticulteurs en colère, notre Beaujolais nouveau a un prix" pouvait-on lire sur leurs slogans. Un prix qui n’a effectivement cessé de baisser depuis 2012. En cause, la chute des ventes. Dans la grande distribution, le nombre de bouteilles commercialisées a chuté de 19% entre 2009 et 2014. Sur la même période, la vente directe aux bars et restaurants est sur une pente encore plus sévère (-21%). L’export, qui a longtemps fait les belles heures de la région, n’échappe pas à la tendance. En volume, entre 2009 et 2014, le nombre de bouteilles vendues a chuté de 13%.

La surface cultivée en baisse d'un tiers depuis 2002

Cette descente aux enfers s’est traduite sur le terrain par la liquidation de nombreuses exploitations. Depuis 2002, les surfaces du vignoble cultivé dans la zone d’appellation du beaujolais se sont réduites de 31%. Les causes du problème sont clairement identifiées. Dans son plan stratégique 2013, l’Union des Vins de Beaujolais les a listés: "Des coûts de production trop élevés (les vendanges manuelles sont, ici, obligatoires, ndlr) et des prix de vente trop faibles", "un vignoble morcelé et vieillissant"…. "une image du beaujolais nouveau dégradé, qui rejaillit sur l’ensemble de la gamme".

De fait, dans l’opinion publique, le beaujolais qui n’est pas vendu en primeur, de même que le beaujolais villages sont perçus comme des vins de piètre qualité. Seuls ceux qui portent le nom d’un village précis (crus de Morgon, Brouilly, Moulin-à-Vent…) résistent. Mais ils ne représentent qu’une toute petite partie du vignoble.

Adieu beaujolais, bonjour les coteaux bourguignons

Un constat douloureux pour les vignerons comme pour les négociants qui achètent 75% de leur production (hors crus). La vigne se vend mal. A peine 10.000 euros l'hectare. Mais même à ce prix-là les jeunes ne veulent plus prendre la relève. Les deux plus grosses sociétés de négoce de la région (Georges Duboeuf et Mommessin) ont donc créé une société civile d’investissement avec une cave coopérative locale. "Nous achetons la vigne et nous proposons à un jeune de l'exploiter moyennant un contrat d’approvisionnement qui lui garantit 10.000 euros à l’hectare pendant 5 ans" expliuqe Grégory Large, le directeur genéral de Mommessin. 

Cette société qui fait partie du groupe bourguignon Boisset ne se contente pas de colmater les brèches en espérant que le beaujolais retrouve une meilleure image. Ses dirigeants ont opté pour une stratégie plus offensive. Ils ont notamment contribué à faire évoluer les règles. Depuis 2011, du nord de la Bourgogne aux portes de Lyon, les vins peuvent porter une autre appellation: coteaux bourguignons.

Mélange de cépages et de millésimes

Avec cette nouvelle appellation, les producteurs peuvent faire des choses strictement interdites avec le bourgogne comme avec le beaujolais. Ils peuvent mélanger les cépages de ces deux régions (le pinot noir du bourgogne rouge, le gamay du beaujolais rouge, le chardonnay des bourgognes et des beaujolais blancs, l'aligoté). Ils peuvent aussi assembler des millésimes différents, comme on le fait depuis toujours avec le champagne. Même le rajout de copeaux de bois (technique moins onéreuse que la vinification en fût traditionnel et tout aussi efficace) est autorisé. 

Objectif: produire des vins différents qui correspondent au goût des consommateurs qui ne cherchent pas une appellation mais des vins typés. Mommessin a ainsi commencé à produire localement ses premiers rosés baptisés Renovatio. Elle a même planté sur des coteaux bien exposés un cépage typique des côtes-du-rhône: le syrah. Un vin baptisé "Grand Granite" dont les premières bouteilles seront commercialisées cette année à un prix nettement moins élevé que le crozes-hermitage, dont il a le nez, le goût et l'aspect.

Pierre Kupferman
https://twitter.com/PierreKupferman Pierre Kupferman Rédacteur en chef BFM Éco