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Comment Bolloré a pris le contrôle d'Havas avec 37% du capital

L'industriel breton est passé de 32,8% à 37% du capital sans dépenser un sou

L'industriel breton est passé de 32,8% à 37% du capital sans dépenser un sou - -

Vincent Bolloré a annoncé, jeudi 6 juin, qu'il va céder la présidence de l'agence de publicité à son fils Yannick. Ultime étape d'une stratégie qui a permis à l'industriel breton de prendre le contrôle d'une agence valant 1,85 milliard d'euros en dépensant seulement 600 millions...

1-l'entrée au capital

En 2004, Bolloré s'invite chez Havas en prenant 20% du capital. Il monte progressivement jusqu'à 32,8%, en dépensant pour cela un peu moins de 600 millions d'euros.

En 2005, après une bataille homérique avec la direction alors en place, l'industriel breton obtient 3 sièges sur 13 au conseil d'administration, dont la présidence.

Mais il ne contrôle pas encore Havas, ni du point de vue du droit des sociétés, ni du point de vue comptable. Dans le comptes de Bolloré, les résultats d'Havas ne sont alors intégrés qu'à hauteur de la quote-part détenue par Bolloré (32,8%) -c'est "la consolidation par mise en équivalence".

2-une montée au capital sans frais

En 2012, Bolloré est monté de 32,8% à 37% sans dépenser un euro. Explication: Havas a procédé à une réduction du nombre d'actions en circulation, ce qui a mécaniquement gonflé la participation de l'industriel breton.

Si l'opération n'a rien coûté à Bolloré, en revanche elle a coûté 267 millions d'euros à Havas. En effet, l'agence de publicité a dû racheter en bourse toutes ces actions avant de les annuler. Ces achats ont été financés en puisant dans l'importante trésorerie d'Havas. Mais l'opération a fait grimper la dette nette d'Havas de 37 à 308 millions d'euros.

Comme l'imposent les textes, un expert indépendant, Maurice Nussenbaum, a rendu un avis sur l'opération. Il y rappelle qu'Havas a réussi à se désendetter fortement ces dernières années -la dette nette s'élevait encore à 454 millions d'euros en 2006. Pour lui, l'opération "ne remettra pas en cause la capacité d'Havas à financer sa croissance organique et sa croissance externe. Si le fait de disposer d'un important matelas de liquidité peut constituer un avantage pour saisir des opportunités dans un environnement financier troublé, cela représente à court terme un coût d'opportunité".

A noter que la direction d'Havas a promis à cette occasion que cette opération "n'entraînera pas de changement au sein des organes sociaux ni de la direction générale"...

3-une dispense d'OPA

En rentrant au capital d'Havas, Bolloré avait bien pris soin de rester juste en-dessous de 33,3% du capital. En effet, en dépassant ce seuil, il aurait été obligé de lancer une OPA fort coûteuse sur tout le reste du capital (la capitalisation boursière de la société est de 1,85 milliard d'euros).

Mais l'opération de rachat d'actions lui fait quand même franchir ce seuil fatidique. Bolloré demande donc à l'AMF d'être dispensé de lancer une OPA, dispense qui lui est accordée en mars 2012.

Pour obtenir cette dispense, l'industriel breton prend plusieurs engagements, notamment celui de "ne pas dépasser ultérieurement" 37,2% du capital d'Havas. En outre, ses trois représentants au conseil d'administration d'Havas ne prennent pas part au vote lors de l'approbation du rachat d'actions.

4-une consolidation à 100% avec seulement 37% du capital

En juin 2012, Bolloré monte donc à 37%, suite à l'opération de rachat d'actions.

Puis, le 1er septembre 2012, Bolloré décide de consolider désormais Havas à 100%. En clair, les comptes de Bolloré se mettent à intégrer non plus 37%, mais 100% des résultats d'Havas -c'est la "consolidation par intégration globale".

Ce changement présente plusieurs avantages. D'abord, d'un point de vue symbolique, cela montrer la volonté de rester chez Havas. Surtout, cela améliore le profil global de Bolloré, étant donné que les résultats d'Havas sont plutôt bons. Ainsi, le bénéfice opérationnel de Bolloré sur l'exercice 2012, qui n'aurait cru que de +3% sans ce changement, bondit de +39%. Quant au chiffre d'affaires, au lieu de croître de +12%, il grimpe de +20%, ce qui permet au groupe Bolloré de franchir le cap symbolique des 10 milliards d'euros de revenus...

Reste qu'un tel changement n'est pas évident du point de vue des règles comptables. Ces règles permettent sans problème de consolider à 100% une filiale dès lors que l'on détient plus de 50% de cette filiale, ou que l'on dispose de la la majorité des sièges au conseil d'administration. Mais l'industriel breton est en-dessous de ces seuils, et il a donc dû trouver une autre justification.

Il est donc allé chercher une autre règle comptable, qui permet de consolider à 100% une fililale détenue à moins de 50% à condition de "disposer du pouvoir de diriger les politiques financières et opérationnelles de la filiale, en vertu d’un texte réglementaire ou d’un contrat".

Précisément, Bolloré "estime avoir ce pouvoir suite à la nomination d’un membre du groupe Bolloré à un poste exécutif au sein du principal organe de gouvernance d’Havas", indiquent les comptes 2012. L'individu en question est Yannick Bolloré, nommé le 31 août 2012 directeur général délégué d'Havas, devenu ainsi un des deux bras droits du directeur général David Jones.

Toutefois, "le texte réglementaire ou le contrat" qui formalise ce pouvoir et qui est mentionné par les règles comptables, n'existe visiblement pas. Il n'est évoqué nulle part dans les comptes de Bolloré ou d'Havas, qui indiquent au contraire que Yannick Bolloré n'a pas de contrat de travail... Interrogé sur ce point, Bolloré n'a pas répondu.

Mais cette justification a été validée par les commissaires aux comptes, qui n'ont émis aucune objection sur ce point dans leur rapport.

5-un blanc seing de Bruxelles

Dernière étape: Bolloré a aussi pris le contrôle d'Havas du point de vue du droit des sociétés. Cette opération-là devait être bénite par la commission européenne.

L'industriel breton a donc demandé à Bruxelles son feu vert en novembre 2012. Sa demande indique: "Bolloré acquiert le contrôle d'Havas par achat d'actions, à la suite d'une offre publique initiée par Havas".

Et, un mois après, Bruxelles a autorisé cette prise de contrôle sans émettre aucune objection...

Interrogé à plusieurs reprises, le porte-parole du groupe Bolloré s'est refusé à tout commentaire.

Jamal Henni