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Bolloré place des proches au comité d'éthique de Canal Plus

Jean-Marie Colombani et Vincent Bolloré présentant leur accord dans la presse gratuite en 2007

Jean-Marie Colombani et Vincent Bolloré présentant leur accord dans la presse gratuite en 2007 - Pierre Verdy AFP

À la demande du gendarme de l'audiovisuel, l'industriel breton crée un comité de six membres, dont l'indépendance paraît d'emblée contestable...

On leur souhaite bien du plaisir. Six personnalités ont finalement accepté de faire partie du comité d'éthique de Canal Plus. Ils devront "garantir l'indépendance éditoriale et de l'information" de la chaîne cryptée, selon la mission assignée par le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel).

Mission périlleuse

Ces six téméraires -qui vont bientôt tenir leur première réunion ensemble- sont René Ricol (expert comptable), Jean-Marie Colombani (journaliste, directeur de Slate.fr), Michèle Reiser (réalisatrice, ancienne membre du CSA, ex-épouse du dessinateur Reiser), Jacqueline de Guillenchmidt (ex-membre du CSA et du Conseil constitutionnel), Colette Neuville (présidente de l'Association de défense des actionnaires minoritaires), et Jean-Marie Coulon (président honoraire de la cour d'appel de Paris).

D'autres personnes auraient refusé de participer à cette mission périlleuse, notamment le politologue Olivier Duhamel, plutôt classé à gauche: il a été député européen sur une liste PS (contacté, Olivier Duhamel n'a pas répondu).

Classés à droite

En revanche, plusieurs des personnalités ayant accepté sont plutôt à droite. Ainsi, René Ricol a travaillé avec Raymond Barre, puis s'est vu confier plusieurs missions par Nicolas Sarkozy: médiateur du crédit, puis commissaire général à l'investissement. Il a même failli être son directeur de campagne pour la présidentielle de 2012.

De son côté, Jacqueline de Guillenchmidt a été au cabinet de Pierre Méhaignerie à la justice sous la seconde cohabitation, puis nommée par la droite au CSA et au Conseil constitutionnel.

Conflits d'intérêt

Surtout, au moins deux membres sont déjà en relations d'affaires avec l'industriel breton. Ainsi, René Ricol cite Bolloré parmi ses clients sur son site web. Il est aussi trésorier général de la Fondation de la 2ème chance créée par l'industriel breton. Enfin, il l'a aidé lors de son raid sur Bouygues, selon une enquête des Echos, qui le classe parmi les "compagnons de route" du nouveau patron de Canal. De son côté, Capital le présente comme un "conseiller du dimanche" de l'industriel, avec qui il "échange depuis 20 ans". 

Le cabinet de René Ricol est aussi actionnaire de Slate.fr, le site de Jean-Marie Colombani. Un autre actionnaire de Slate est Alain Minc, un très proche de Vincent Bolloré. Surtout, Slate fournit depuis deux ans une page quotidienne à Direct matin, baptisée L'oeil de Slate. Le lundi, cette page est même constituée d'un éditorial de Jean-Marie Colombani. Enfin, lorsque Alain Minc et Jean-Marie Colombani dirigeaient Le Monde, ils avaient conclu un accord avec Bolloré pour prendre 30% du capital de son quotidien gratuit, et lui fournir une page de contenus quotidienne.

Enfin et non des moindres, Jacqueline de Guillenchmidt est mariée à un avocat, Michel de Guillenchmidt, qui fut associé dans les années 90 avec Alain Minc pour acheter le fabricant de cloisons amovibles Hoyez. 

Indépendance contestable

Bref, l'indépendance du comité vis-à-vis de l'actionnaire semble d'emblée contestable, alors qu'il est censé garantir cette indépendance... Mais cette liste de six noms a déjà été envoyée au CSA, qui n'en fait pas un casus belli. "Canal Plus est souverain pour ce choix", explique le gendarme de l'audiovisuel. 

Toutefois, le CSA espère que ce comité élaborera une charte non purement consultative, mais contraignante, qui sera ajoutée à la convention de Canal Plus. Mais cette question n'est toujours pas tranchée...

Interventionnisme éditorial

La création de ce comité suit les multiples interventions éditoriales du nouveau patron de la chaîne cryptée, Vincent Bolloré. Selon la presse, ce dernier a notamment censuré un documentaire sur le Crédit Mutuel, demandé à Cyril Hanouna de ne plus parler de lui dans son émission, ou mis à la porte les auteurs des Guignols, remplacés par d'autres à l'humour moins corrosif et plus aseptisé...

À la suite de cela, le CSA souhaitait durcir la convention de Canal Plus. Mais cela nécessitait l'accord de la chaîne cryptée, qui s'y est opposée. "Rien ne justifie une mise sous surveillance sur la base de contre-vérités", avait assuré Vincent Bolloré lors de son audition le 24 septembre. Car, selon lui, les accusation de censure n'étaient qu'"affabulation" et "procès d'intention". Vincent Bolloré a notamment juré qu'il n'avait pas personnellement déprogrammé le documentaire sur le Crédit Mutuel. Il a assuré que ces accusations faisaient partie d'une "tentative de déstabilisation" menée par Renaud Le Van Kim, producteur déchu du Grand Journal.

Tentative de déstabilisation

L'industriel breton avait aussi ajouté que le durcissement de la convention de Canal Plus n'avait pas de fondement juridique, et susciterait l'opposition des administrateurs de Vivendi. 

Bref, un tel durcissement "donnerait raison à ceux qui souhaitent le déstabiliser". Pour y échapper, Vincent Bolloré avait alors avait sorti de son chapeau la création de ce comité d'éthique à sa main...

Rappelons qu'à i-Télé, deux des trois membres du comité d'éthique ont démissionné en septembre à la suite de la reprise en main par Vincent Bolloré. Une seule n'a pas démissionné: Jacqueline de Guillenchmidt, a relevé Arrêt sur images...

Interrogé, Canal Plus n'a pas souhaité faire de commentaires. 

Mise à jour: Canal Plus a publié mardi 12 janvier à 14h45 un communiqué confirmant la composition du comité d'éthique. Contacté, René Ricol n'a pas répondu. 

Nouvelle mise à jour: dans une première version de l'article, nous indiquions: "en juillet 2008, Michel de Guillenchmidt a été condamné par la justice à payer des indemnités à l'industriel italien Carlo de Benedetti". 
Mercredi 13 janvier, Michel de Guillenchmidt nous a indiqué que ce jugement du TGI de Paris du 15 juillet 2008 a été annulé par la cour d'appel de Paris le 2 juillet 2009. "La cour d'appel m'a définitivement mis hors de cause dans cette affaire, et précise que "faute d'établir les fautes commises par M. de Guillenchmidt, celui-ci doit être mis hors de cause". Je n'ai pas formé de pourvoi contre cet arrêt", ajoute Michel de Guillenchmidt.

Jamal Henni