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Bras de fer en vue entre producteurs et chaînes de TV

France Télévisions a financé "Plus belle la vie", mais a dû le racheter pour pouvoir le rediffuser

France Télévisions a financé "Plus belle la vie", mais a dû le racheter pour pouvoir le rediffuser - FTV

Des parlementaires et des producteurs veulent assouplir les obligations de production des chaînes de télévision. Mais le syndicat des producteurs USPA y est farouchement opposé.

Les obligations de production audiovisuelle des chaînes de télévision vont-elles être bientôt allégées? C'est en tous cas l'espoir des chaînes. "La réglementation donnera des marges de manoeuvre [dans les deux ans]. Aujourd’hui, un certain nombre de parlementaires et de producteurs se rendent compte que la réglementation est un boulet. On pourrait avoir de bonnes nouvelles", espérait ainsi le PDG de TF1 Nonce Paolini le 19 février.

Aurélie Filippetti tient un discours assez proche: "nous devons réfléchir, dans une logique de concertation professionnelle, à une évolution de la réglementation de la contribution des chaînes à la production audiovisuelle", a déclaré la ministre de la culture le 25 janvier lors du festival de programmes Fipa.

Et il y a un mois, le Sénat a mis en place un groupe de travail sur "les relations entre chaînes et producteurs dans le domaine des droits".

Un milliard d'euros par an

En pratique, ces obligations imposent aux chaînes de commander à des producteurs extérieurs, fictions, documentaires, dessins animés et spectacles. Selon les textes, ces commandes doivent représenter jusqu'à 15% du chiffre d'affaires de la chaîne -soit au total près d'un milliard d'euros par an, toutes chaînes confondues. Ces obligations apportent des revenus réguliers aux producteurs, et sont donc vitales pour eux.

Les réflexions en cours visent à assouplir ces obligations, comme le réclament de longue date les chaînes, y compris RMC Découverte (qui appartient au même groupe que ce site). A priori, il peut paraître paradoxal que la gauche accorde enfin aux chaînes ce que la droite n'a jamais osé faire. Mais la situation difficile de France Télévisions a rouvert le dossier. Et la majorité au pouvoir pense avoir trouvé là un moyen d'apporter de nouvelles recettes au service public.

Précisément, les sénateurs ont étudié l'an dernier le modèle de la BBC, qui leur a donné quelques idées. Le sénateur socialiste David Assouline, vice-président du groupe d'études, a ainsi déclaré lors du Fipa: "aujourd'hui, en Angleterre, la BBC est entièrement propriétaire des programmes qu'elle finance", ce qui lui procure donc d'importantes recettes.

Quand une chaîne doit rachèter ses programmes...

Or en France, la situation est radicalement différente. Les chaînes financent en quasi-totalité le budget de leurs programmes (67% du budget en moyenne, et jusqu'à 80%). Mais, en retour, elles ont juste le droit de diffuser le programme, et n'en sont nullement propriétaires. Une situation dont elles se plaignent. "Je trouve un peu étrange qu'Un gars, une fille soit exploité aujourd'hui sur une chaîne du groupe M6, alors que c'est une création qui a été financée intégralement par France Télévisions qui ne touche pas un centime des rediffusions. C'est anormal!", déplorait ainsi Nonce Paolini le 26 février.

De son côté, France Télévisions met en avant un autre exemple: le service public a financé Plus belle la vie, mais a dû en racheter les droits pour le rediffuser. Un argument qui a porté auprès des parlementaires. "France Télévisions, et par conséquent le contribuable, paient donc deux fois! Il serait opportun de réfléchir à un meilleur partage des droits entre le diffuseur public et les producteurs. Il s’agit là d’une piste de ressources propres additionnelles potentiellement importantes", estime ainsi la députée socialiste Martine Martinel.

Lagardère soutient les chaînes

Les réflexions en cours visent donc à autoriser les chaînes à devenir co-producteurs des programmes qu'elles financent, et donc toucher ainsi une part des bénéfices.

Mais encore faut-il que les producteurs soient d'accord, et c'est loin d'être gagné. Certes, certains y sont ouverts, comme Lagardère, premier producteur français de fiction. Takis Candilis, président de Lagardère Entertainment, a ainsi déclaré le 22 février sur BFM Business: "aujourd’hui, les chaînes qui financent une grosse partie des programmes ne sont pas intéressées à la vie de ces programmes, c’est anormal. Soeur Thérèse.com a été intégralement financée par TF1, et TF1 se retrouve aujourd’hui en face de ce programme, qui lui enlève des spectateurs. Je me mets du côté du diffuseur, et je me dis: il y a quelque chose d’un peu anormal."

Les producteurs divisés

L'ancien patron de la fiction de TF1 aurait rallié à son panache quelques producteurs français importants. Mais le puissant syndicat des producteurs, l'USPA (dont Takis Candilis ne fait pas partie), reste farouchement opposé. Auditionné par les sénateurs le 19 février, il a demandé "le maintien de l'interdiction de détention des parts de coproduction" pour les chaînes.

Lors de son audition, le syndicat a rappelé que les chaînes étaient co-productrices des programmes jusqu'en 2001, date où les décrets Tasca l'ont interdit: "avant 2001, le montant des remontées [vers les chaînes] représentait au total moins de 20 millions d'euros. C'est donc un sujet marginal pour les chaînes". Une chaîne répond: "aujourd'hui, nous n'avons rien du tout. Même si nous recevons peu d'argent, ce sera donc forcément mieux..."

"Arme atomique"

Pour sortir de ce conflit, un timide compromis avait été trouvé en 2010. Les producteurs avaient accordé aux chaînes un intéressement à la revente des programmes (un "droit à recettes"). Mais "les chaînes indiquent que les remontées de recettes sont quasi-nulles", indique un récent rapport du CSA, qui ajoute toutefois qu'il est "encore tôt" pour tirer un bilan.

En revanche, les producteurs ont toujours farouchement refusé d'accorder aux chaînes des parts de co-production. En effet, la chaîne deviendrait alors co-propriétaire du programme, et pourrait donc interdire sa revente à une chaîne concurrente. "Le retour des parts de co-production, c'est l'arme atomique", craint donc l'USPA...

Interrogé sur ses intentions, le ministère de la Culture n'a pas répondu.

Jamal Henni