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Transports

Brexit: jusqu'à 8 milliards d'euros de pertes pour l'industrie automobile?

Boris Johnson, l'un des artisans du Brexit et ancien maire de Londres, en visite au siège de Toyota, au Japon, en octobre 2015.

Boris Johnson, l'un des artisans du Brexit et ancien maire de Londres, en visite au siège de Toyota, au Japon, en octobre 2015. - Toyota

Les Britanniques ont en majorité opté pour une sortie de l'Union Européenne. L'industrie automobile locale est dans le flou, et les premières prévisions sont tout sauf bonnes...

Les Britanniques ont donc fait leur choix. Problème pour les industriels du secteur automobile: le résultat est contraire à ce qu'ils espéraient. Il faut dire qu'ils ont très gros à jouer avec cette sortie annoncée de l'Union Européenne, et surtout, de son marché unique.

"Le Brexit n'a aucun sens"

En 2015, les chaînes de montage du royaume ont en effet vu sortir 1.595.697 véhicules, et 77,5 % étaient destinés à l'exportation, dont 57,5% rien que pour l'Union Européenne. À eux seuls, les véhicules représentaient 11% des exportations britanniques en 2015. Comme l'explique Laurent Petizon, Managing Director et responsable de la practice automobile chez AlixPartners: "Pour l'industrie automobile, le Brexit n'a aucun sens".

Les équipementiers sont aussi touchés par ce vote surprise. Le plus gros secteur d'exportation britannique concerne les pièces automobiles, des marchandises exemptées d'accords de l'OMC et de leurs tarifs fixés, donc potentiellement à la merci d'une taxation sévère de la part de l'UE. L'inquiétude monte, comme le résume Torsten Muller-Otvos, PDG de Rolls-Royce Motors Cars: "Pour le groupe BMW, plus de la moitié des MINI construites et tous les moteurs et pièces produites au Royaume-Uni sont exportées vers l’UE, et plus de 150.000 nouvelles voitures et plusieurs centaines de milliers de pièces sont exportées vers l’UE chaque année". 

Des constructeurs japonais inquiets

Les trois grands groupes japonais, Toyota, Honda et Nissan, ont fait du Royaume-Uni leur rampe de lancement pour le marché européen, attirés par le savoir-faire britannique certes, mais aussi par l'accès au marché unique. L’usine Nissan de Sunderland est le site le plus productif du royaume, celle de Toyota à Burnaston représente 10% de la production locale à elle seule, on comprend donc l'inquiétude -certes mesurée- mais visible du secteur. 

De son côté, Honda continue de préparer l'assemblage de la Civic sur son usine de Swindon, dans la prudence. Une chute durable de la livre sterling aurait présenté l'avantage de baisser les coûts de production. Une aubaine pour compenser d'éventuels tarifs douaniers prohibitifs. Encore faut-il que les pièces et machines nécessaires ne soient pas importées, car elles devront se payer en devises étrangères. 

Si un désengagement des japonais est peu probable, le ralentissement de l'activité semble déjà être acté: "Nous n’avons pas d’autres choix que d’être plus prudents dans nos investissements, y compris pour des décisions telles que produire un modèle nouveau ou modifié", a déclaré à Reuters, sous couvert d’anonymat, un responsable d’un grand constructeur asiatique basé au Royaume-Uni. Une chute des investissements dans le secteur serait donc à prévoir. C'est en tout cas la vision de Laurent Petizon, d'AlixPartners: "Le plus probable, c'est l'arrêt des investissements en Grande-Bretagne. Deux milliards de livres d'investissements étaient prévus. Si le retrait ne se fait pas avant deux, voire quatre ans, cela veut dire un sous-investissement pendant cette période. L'industrie britannique sera en perte de vitesse". 

PSA et les britanniques dans l'expectative

Les fortes répercussions du Brexit sur le cours des actions PSA et Renault à la suite des résultats de la consultation illustrent l'inquiétude des marchés. Ne possédant pas d'usine sur place, PSA (Peugeot et Citroën) doit importer au Royaume-Uni ses véhicules par ferry, et fabrique donc en euros pour exporter en livres sterling.

Le Royaume-Uni représente 6,2% des ventes du groupe. Les ajustements seraient donc délicats, comme le résume Linda Jackson, directrice générale de Citroën: "Il est difficile de dire ce que nous allons faire, car l'accord n'a pas encore été négocié. Nous voulons être présents en Grande-Bretagne, c'est notre troisième marché, avec 99.000 véhicules vendus en 2015. Nous suivrons le marché, si on doit augmenter les prix, nous les augmenterons, mais je répète bien, en suivant le marché".

Une perte de vitesse inévitable? 

D'après l’institut IHS Automotive, le marché automobile britannique devrait voir ses ventes reculer de 7,5 à 8,5% en 2017. Ce sont près de 3 millions de voitures de moins qui seront vendues au Royaume-Uni d’ici à 2018. Le cabinet AlixPartners estime même cette baisse à 15% d'ici 2017/2018. Laurent Petizon l'explique par la nature des achats de véhicule au Royaume-Uni: "Les véhicules vendus en Grande-Bretagne le sont le plus souvent à crédit. Avec les incertitudes financières, et la hausse possible du prix des véhicules importés, le marché britannique risque de chuter". 

Si la nature haut de gamme des modèles produits par les marques locales, telles que Jaguar Land Rover (propriété de l'Indien Tata Motors) ou Aston Martin, leur permet de pouvoir augmenter leurs tarifs, pour compenser d'éventuels droits de douane exorbitants, des pertes financières sont tout de même attendues. D'ici 2020, Jaguar-Land Rover pourrait y laisser jusqu’à 1,3 milliard d’euros, rien qu'à cause du Brexit. D'un point de vue général, AlixPartners, dans son rapport sur l'automobile daté du 1er juin, avant le référendum, estimait les pertes globales du secteur à 8 milliards d'euros pour les deux prochaines années. 

De quoi aussi ralentir le développement d'une marque comme Aston Martin? Le constructeur, malgré de nouvelles pertes en 2015 (127,9 millions d'euros), pour la cinquième année consécutive, continue à travailler sur le renouvellement complet de sa gamme et la construction d'une usine au Pays de Galles, employant 750 ouvriers. Un site qui sera consacré à la construction d'un SUV, peut être la bouffée d'air frais pour la marque. Peu de chance alors de voir, dans l'immédiat, une sortie de l'Union Européenne remettre en cause les ambitions de la marque préférée de l'agent 007: comme Andy Palmer, PDG du constructeur, l'a déclaré cette semaine au Financial Times: "Plus encore, le Brexit renforce notre stratégie".