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Bruxelles saisi sur l'amende record d'Orange et SFR

C'est la première fois qu'un tribunal français demande son avis à la Commission

C'est la première fois qu'un tribunal français demande son avis à la Commission - -

La cour d'appel de Paris demande l'avis de la Commission européenne sur l'amende de 183 millions d'euros infligée il y a un an et demi par le gendarme de la concurrence, pour avoir proposé des appels moins chers vers leurs propres clients.

Surprise, surprise! La décision rendue jeudi 19 juin par la cour d'appel de Paris était très attendue. Elle devait confirmer ou invalider l'amende record de 183 millions d'euros infligée en décembre 2012 à Orange et SFR par l'Autorité de la concurrence.

Finalement, à la surprise générale, les juges ont décidé de botter en touche, et de demander un avis à Bruxelles sur "les questions économiques et juridiques présentées par l'affaire".

"Les questions d'ordre factuel, économique et juridique que soulèvent les offres incriminées au regard des règles de concurrence européennes justifient le recours à l'avis de la Commission européenne, suggéré par SFR", argue la cour d'appel.

Ironie de l'histoire

Rappelons qu'Orange et SFR ont été condamnés pour avoir proposé des appels moins chers vers leurs propres clients, que vers les opérateurs concurrents.

Le gendarme de la concurrence a déjà infligé des amendes pour le même motif à SFR à la Réunion, puis à Orange dans les Antilles. L'ironie de l'histoire est qu'à la Réunion, SFR a reconnu les faits et n'a pas contesté l'amende, alors que SFR les combat vigoureusement en métropole... Et aux Antilles, la même cour d'appel de Paris avait confirmé la sanction d'Orange. Mais "les offres incriminées ont une structure différente de celles examinées à l'occasion de litiges antérieurs", a justifié jeudi la cour d'appel.

Attaques violentes

"C'est une décision assez inédite. Les juridictions françaises demandent régulièrement son opinion à la Cour de justice européenne, mais c'est la première fois qu'un avis est demandé par une juridiction française à la Commission elle-même. En pratique, la consultation de Bruxelles repousse donc le verdict d'au moins plusieurs mois", relève Sylvain Justier, avocat associé au cabinet Magenta.

Devant la cour d'appel, SFR et surtout Orange ont violemment contesté la décision de l'Autorité de la concurrence, parlant de "méthode aberrante et arbitraire", "calculs trompeurs", "multiples erreurs de fait", "excès de pouvoir", "violation du principe d'impartialité et de loyauté"...

Plus à une contradiction près

La cour d'appel, si elle reporte son verdict sur le fond, a quand même rejeté tous les arguments d'Orange et SFR sur la forme.

Notamment, les juges ont tranché un point important sur la manière dont travaille de l'Autorité de la concurrence. En effet, la jurisprudence européene impose une séparation stricte entre l'instruction (menée par les rapporteurs) et le jugement (effectué par le collège). Or, dans cette affaire, une première instruction avait conclu en 2008 à l'absence de discrimination tarifaire. Mais le collège avait jugé ces conclusions insuffisantes, et avait renvoyé l'affaire à l'instruction en 2009. En 2011, la seconde instruction conclura bien à une discrimination tarifaire.

"Le collège s'est immiscé dans l'instruction", ont donc accusé Orange et SFR. Mais cet argument est rejeté par la cour d'appel: "si les rapporteurs, se conformant à la demande du collège, ont repris l'instruction du grief [de discrimination tarifaire] précédemment écarté, rien ne leur imposait de retenir ce grief à l'issue de leur enquête. Les services d'instruction ne travaillent pas sous la direction du collège, qui n'assure pas l'instruction de l'affaire. Une immixtion du collège ne peut donc être tirée de la circonstance que les rapporteurs ont finalement retenu un grief de discrimination tarifaire".

Rappelons qu'Orange avait déjà contesté en appel puis en cassation ce renvoi à l'instruction, mais avait toujours été débouté. Orange a même tenté -en vain- de poser une question prioritaire de constitutionnalité... Mais toute cette contestation avait retardé l'affaire de deux ans. N'étant plus à une contradiction près, Orange et SFR se sont plaints devant la cour d'appel de "la durée excessive de la procédure"...

Jamal Henni