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Ce qu'Apple et Google nous cachent sur le soi-disant succès des applis

Trop d'applis tue l'appli? Alors que les deux grands AppStores rassemblent chacun plus de 1,5 million d'applications, réussir à s'imposer relève désormais de la loterie.

Trop d'applis tue l'appli? Alors que les deux grands AppStores rassemblent chacun plus de 1,5 million d'applications, réussir à s'imposer relève désormais de la loterie. - Montage BFM Business

"Quand les premières applications sont apparues, les experts prédisaient la fin du web classique. Mais alors qu'une majorité de Français possèdent des smartphones, seule une poignée d'applis a réussi à réellement s'imposer. Explications."

"Le web est une technologie mourante. Il va être remplacé par un internet d'applications." Voilà comment en 2011 le patron du cabinet Forrester Research envisageait le sombre avenir de l'internet lors de la conférence LeWeb. Les applications pour smartphones et tablettes allaient en quelque sorte privatiser le web en devenant la seule porte d'entrée des utilisateurs. C'était l'âge d'or des applications et l'argent coulait à flots pour le plus grand bonheur des développeurs. Tout le monde voulait son "appli": les médias pour muscler leur audience, les e-commerçants pour démultiplier leurs ventes, les éditeurs de jeux pour toucher un public encore plus large... L'application c'était l'Eldorado du mobile.

D'ailleurs, si l'on en croit Apple, le marché des applications ne s'est jamais aussi bien porté. L'AppStore a réalisé 20 milliards de dollars de ventes en 2015. Le marché global en incluant Android s'élève à 40 milliards. Et les prévisions sont à l'avenant. Selon App Annie, le spécialiste du secteur, ce marché devrait atteindre 100 milliards d'ici 2020. Sans compter les ventes réalisées via ces applications. Elles représenteraient 300 milliards de dollars. Une somme à laquelle il faut ajouter 34 milliards de dollars de dépenses publicitaires. Bref l'écosystème des apps semble très bien se porter.

"On ne peut pas utiliser 20 applis par jour"

Pourtant, 8 ans après le lancement de l'iPhone, la plupart de ceux qui ont misé sur ce filon déchantent. Les médias pour qui l'application ne représente qu'une infime part de leur trafic, les éditeurs de jeux qui constatent que les succès sur mobile sont finalement très rares et les sites marchands qui privilégient leur site mobile et plus leur application. D'ailleurs, une étude de Google confirme qu'un bon site optimisé est plus efficace qu'une application dédiée.

Amazon -dont l'appli est pourtant un des rares succès dans le e-commerce- a ainsi une audience près de deux fois supérieure sur son site mobile. "C'est normal, explique Nick Leeder, le patron de Google France. Si plus de 80% du temps passé sur son smartphone se fait sur des applications, il s’agit essentiellement de quelques jeux et des réseaux sociaux. Les consommateurs gardent seulement 12 applis et 95% d'entre elles ne sont pas utilisées après 30 jours…"

Car à y regarder de plus près, seuls quelques acteurs profitent de ce juteux marché. Les réseaux sociaux comme Facebook et Instagram, une poignée de jeux comme Candy Crush ou Clash of Clans, la météo, une appli de transport, de musique en streaming et c'est à peu près tout. Selon ComScore, 80% des possesseurs de smartphones n'utilisent régulièrement que 3 applications. "C'est normal, observe Leslie Griffe de Malval, analyste à FourPoints IM. Le temps des utilisateurs n'est pas extensible; on ne peut pas utiliser 20 applications tous les jours. Le marché est logiquement en train de se consolider et de nouveau business models apparaissent." 

Les applications payantes font un flop

A commencer par le gratuit. Aujourd'hui le modèle de l'appli payante a vécu et ce sur tous les AppStores. Si sur Android, plus de 95% des applications téléchargées sont gratuites, sur iPhone aussi les payantes ont moins la cote. Ainsi en 2011, 63% des applis téléchargées sur iOS étaient payantes pour un prix moyen de 3,64 dollars. L'année dernière, elles n'étaient plus que 27% et le prix moyen est tombé à 1,27 dollar selon Pocketgamer.biz. Désormais c'est le modèle du freemium qui s'impose, soit celui de l'application gratuite dont on fait payer les améliorations à la carte. Comme des vies en plus dans un jeu, des filtres supplémentaires dans une appli photo etc. L'idée c'est d'attirer le client avec un produit gratuit, le rendre accro pour qu'au final, il sorte plus facilement sa carte bleue. C'est le modèle du jeu Candy Crush qui a depuis été copié par la plupart des applications.

Si ce modèle fonctionne mieux que celui de l'appli payante, cela ne résout pas le problème de la visibilité. Aujourd'hui Google Play et l'App Store d'Apple proposent entre 1,5 et 2 millions d'applications chacun. Et réussir à s'imposer dans cet immense supermarché relève de la loterie. "Le marché des apps est saturé, ce qui nuit à la croissance, estime Ryan Sarver, un capital-risqueur à Redpoint Ventures interrogé par The Verge. Les gens ne sont plus à la recherche de nouvelles applications, ils ont tout ce dont ils ont besoin." Un phénomène accentué par le fait que les fabricants de smartphones intègrent de plus en plus de services: filtres et retouche de photos, lampe de poche, musique en streaming... Désormais ces services sont proposés par défaut sur le téléphone, plus besoin de télécharger une application dédiée.

Les réseaux sociaux privatisent-ils le web?

Un phénomène qui devrait s'accentuer dans les années à venir avec la concentration des services au sein des grosses applis à succès. "Elles intègrent davantage de services comme le paiement, le e-commerce, la réservation de voyage, constate Leslie Griffe de Malval. De plus en plus d'applis en stand alone passent par les grandes applis que sont Facebook, Messenger ou le chinois Tencent avec WeChat." Ces applications phares générant le plus d'audience autant passer directement par elles pour s'adresser au plus grand nombre.

Ainsi Facebook permet d'effectuer de mini-paiements via Messenger et a annoncé en décembre dernier la possibilité de réserver un Uber toujours via son appli de messagerie. Le réseau social a aussi pensé à la presse avec son service Instant Articles qui permet aux médias de publier directement et en intégralité des articles sur leur site.

Les réseaux sociaux sont-ils en train de récréer des mini-portails au sein de l'éco-système smartphone? Bref de privatiser le web et les applis à leur avantage? Sans doute pour partie. Néanmoins l'application en stand alone n'est pas condamnée pour autant. "Il y a de nouvelles technologies qui vont émerger comme la réalité augmentée et avec elles de nouvelles applications, anticipe Leslie Griffe de Malval. Et puis l'application continuera à bien fonctionner dans le BtoB -où elles rendent d'importants services à leurs utilisateurs- ou bien en tant que relais de communication marketing." Comme cette amusante application par exemple lancée par les cafés Grand'Mère à l'occasion de la fête des mamies. Une petite app qu'on télécharge, qu'on utilise 5 minutes en souriant et qu'on finit par supprimer comme la plupart des autres. Bienvenue dans l'ère de l'internet jetable. 

Frédéric Bianchi