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Chez France Télévisions, copinage avec les producteurs et gaspillage

400 programmes  achetés ont ensuite été mis à la poubelle entre 2009 et 2015

400 programmes achetés ont ensuite été mis à la poubelle entre 2009 et 2015 - AFP Jean Ayissi

Le dernier rapport de la Cour des comptes sur les chaînes publiques dénonce des "pratiques contestables" dans les achats de programmes auprès des producteurs extérieurs.

Comme à son habitude, la Cour des comptes appuie là où cela fait mal. La rue Cambon a publié lundi 24 octobre un nouveau rapport sur France Télévisions. Elle y critique notamment les rapports entre les chaînes publiques et les producteurs extérieurs qui lui fournissent des programmes. 

Le rapport pointe d'abord un gaspillage important dans ces achats externes. De nombreux programmes ainsi achetés sont diffusés en pleine nuit, dorment dans les tiroirs, voire ne sont jamais diffusés.... Ainsi, 400 programmes achetés ont été mis définitivement à la poubelle entre 2009 et 2015, représentant une valeur de 76 millions d'euros. 

Avant de finir en enfer, la plupart de ces programmes passent plusieurs années au purgatoire. Ainsi, dans le stock de programmes prêts à être diffusés, 30% ont été livrés depuis plus d'un an, représentant une valeur de 120 millions d'euros. Ainsi, les fictions dormant sur les étagères permettraient d'alimenter l'antenne durant 9 mois... "La commande de programmes excède les capacités [de diffusion] de la grille", estime le rapport.

Non exportable et plus coûteux

Autre aberration: les chaînes publiques sont celles qui produisent le plus de fictions unitaires d'une heure et demie. Ce format représente 20% de la production de fiction du service public, contre 4% chez TF1 ou Canal Plus. Problème: ce format est "difficilement exportable à l'étranger", et "coûteux à produire", car, contrairement aux séries, il ne peut être amorti sur plusieurs épisodes.

Des échecs en salles diffusés la nuit

C'est encore pire pour l'argent investi par le service public dans le cinéma. Les films ainsi co-produits sont souvent des échecs en salles: la moitié des films co-produits par la Trois ont ainsi attiré moins de 100.000 spectateurs. Résultat: pour ne pas plomber l'audience, la majorité de ces films co-produits est diffusée en troisième partie de soirée (après 23h), voire la nuit. Inversement, pour les premières parties de soirée, plus des deux tiers des films français diffusés sont des films achetés et non co-produits. En face, TF1 et M6 parviennent à diffuser en prime time 80% des films dans lesquels ils ont mis de l'argent.

Pour la Cour, "la logique d'approvisionnement des grilles apparaît comme secondaire. Le nombre de films co-produits dépasse manifestement les capacités des grilles aux heures d'écoute habituelles. Si une logique pure de guichet de subvention devait prévaloir, alors le système actuel paraît complexe, et France Télévisions pourrait verser une somme équivalente [directement] au CNC..." 

Exemples édifiants

L'explication de ces aberrations réside sans doute dans "les pratiques contestables" constatées dans les achats de programmes. Le rapport cite des exemples édifiants. Par exemple, lorsque l'ancien PDG Patrick de Carolis, après la fin de son mandat, a repris la présentation Des racines et des ailes, le conseil d'administration n'a même pas été informé. Un ancien cadre des chaînes publiques a été embauché par "un fournisseur important", un autre a monté sa société de production qui a reçu "1,9 million d'euros de commandes de France Télévisions dans l'année suivant son départ". Enfin, et non des moindres, un responsable de programme a commandé une production qui a fait travailler des membres de sa famille...

Refus d'audits 

En théorie, pour éviter que les producteurs extérieurs ne se gavent trop sur le dos du service public, ce dernier a le droit d'effectuer des audits des productions pour examiner comment son argent a été dépensé. Las! Ces audits rencontrent de "nombreux obstacles". Un producteur a ainsi "refusé de communiquer la rémunération de l'animateur" du programme. Un autre a "refusé de photocopier des documents". Mais, le plus souvent, l'audit bute sur des obstacles plus subtils. Ainsi, le producteur justifie des dépenses par des factures provenant d'une autre société appartenant au même groupe, mais qui n'est pas dans le champ de l'audit... Ou bien, le producteur argue que ces dépenses constituent ses "frais généraux" sans fournir de justificatifs... Étrangement, "plusieurs entreprises avec lesquelles France Télévisions traite régulièrement n'ont jamais été auditées".

Conclusion des limiers de la rue Cambon: les chaînes publiques "se retrouvent dans une situation plus proche d'un guichet de subventions que d'une entreprise en négociation commerciale avec ses fournisseurs..."

Jamal Henni