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Cinéma: le désengagement de Canal Plus inquiète les professionnels

La présence de la chaîne s'est réduite au stand de Studio Canal

La présence de la chaîne s'est réduite au stand de Studio Canal - BFM Business

"La chaîne cryptée a réduit au strict minimum sa présence au festival de Cannes, qui est pourtant le premier marché mondial du cinéma. "

Un spectre hante la Croisette: il a pour nom Canal Plus. La chaîne cryptée a beau être quasiment absente du festival de Cannes, elle occupe tous les esprits et les discussions. Canal Plus a d'abord réduit à la portion congrue les émissions réalisées depuis la Croisette. Mais la filiale de Vivendi a aussi réduit au minimum sa présence physique au sein du plus grand festival de cinéma du monde -qui est en parallèle le marché du film le plus important de la planète. Fini le stand de réception des VIP -le fameux patio. Zéro intervenant de la chaîne dans les différents débats, notamment ceux organisés dimanche 15 mai par le ministère de la Culture, puis lundi 16 mai par la société d'auteurs SACD, où ils étaient pourtant invités. 

Les habitués du festival n'ont pas vu non plus les patrons de Vivendi et de Canal Plus qui jusqu'à l'an passé, faisaient au moins un saut sur la Croisette. Interrogée, la chaîne n'a même pas voulu indiquer qui était présent cette année! Selon Challenges, le président des conseils de surveillance de Vivendi et Canal Plus Vincent Bolloré a décidé de ne pas venir. D'autres ont cru voir le directeur général Maxime Saada passer en coup de vent...

Tomber le masque

En pratique, la présence de Canal s'est donc réduite à un stand pour sa filiale cinéma Studio Canal, et à trois phrases lénifiantes de son président du directoire, Didier Lupfer, dans le magazine professionnel Screen international: "Le cinéma est clé pour Canal Plus. C'est pourquoi nous ne voulons pas réduire nos investissements en France, mais les accroître [...]. Nous ne cherchons pas à réduire nos investissements dans le cinéma, nous voulons les renforcer. Le projet est d'augmenter le chiffre d'affaires, plutôt que de rogner sur l'investissement dans le cinéma. Dans l'idéal, nous aimerions faire croître le chiffre d'affaires [de Studio Canal] de 600 à 800 millions d'euros".

Pareillement, Vincent Bolloré a tenu lui aussi des propos affables et rassurants à chaque fois qu'il recevait les représentants de la filière, notamment lors de leurs déjeuners semestriels, le dernier ayant eu lieu le 29 mars.

Las! Tout cela a été contredit par les inquiétants projets révélés mardi 10 mai par le Figaro: concentrer les investissements sur "une dizaine de gros films à succès"; conditionner une partie de cet investissement au succès du film en salles; et devenir co-producteur des films, au lieu d'acheter les droits de diffusion en TV. 

"Bolloré a tenu le plus longtemps possible des propos rassurants à la filière du cinéma car il avait besoin du soutien de cette filière pour faire approuver son accord avec beIN Sports. Maintenant que l'affaire beIN Sports approche de sa conclusion, il a moins besoin d'eux, et peut enfin tomber le masque", analyse un expert.

"Bolloré affaiblit sciemment Canal"

La nature ayant horreur du vide, on a donc beaucoup de Canal Plus sans Canal Plus... "J'ai l'impression qu'il n'y a plus d'abonné au numéro correspondant, a ainsi déclaré Pascal Rogard, directeur général de la SACD, au Film français. Les mouvements à Canal Plus suscitent des inquiétudes légitimes. Je pense que Vincent Bolloré a sciemment choisi d'affaiblir Canal Plus, parce qu'il pense que le maintien du modèle économique nécessiterait des investissements qu'il doit considérer comme trop importants. Et je ne pense pas que la manière de relancer les abonnements est d'annoncer la mort de la chaîne". Il rappelle que le premier patron de la chaîne cryptée, André Rousselet, n'était jamais intervenu dans les programmes...

"Du côté de Canal Plus, on voit plus de films refusés qu'avant, et des montants inférieurs à ceux qui étaient donnés avant", a constaté David Kessler, directeur général d'Orange Studio, lors du débat organisé par la SACD. Le secteur "se sent menacé par certains acteurs un peu moins stables que d'autres", a euphémisé la nouvelle patronne de France Télévisions, Delphine Ernotte. "On se pose des questions et on commence à s'inquiéter un peu, car 200 millions d'euros proviennent chaque année de Canal Plus et Ciné+", abonde Marie Masmonteil, présidente du Syndicat des producteurs indépendants.

Même son de cloche chez la réalisatrice Julie Bertucelli: "On est très inquiets si Canal Plus disparaît. Il y a une place a prendre...", a-t-elle déclaré lors du colloque organisé par le ministère.

Que fait la police?

Face à ce séisme, le gouvernement semble impuissant et tétanisé par l'incontrôlable homme d'affaires breton. Dans le Film français, la ministre de la Culture Audrey Azoulay s'en tient au service minimum, se bornant à cette sobre déclaration: "Mon rôle est de rappeler que l'autorisation dont dispose Canal Plus implique des obligations en matière de financement de la création. Nous veillerons à ce que la contribution du groupe à la création soit préservée". À n'en pas douter, la force et la fermeté de ces propos auront impressionné le nouvel homme fort de Canal Plus...

Jamal Henni, à Cannes