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Cinéma: les scènes de sexe non simulées ne sont plus interdites aux mineurs

L'association Promouvoir avait obtenu l'interdiction aux moins de 18 ans de 'Love' de Gaspar Noé.

L'association Promouvoir avait obtenu l'interdiction aux moins de 18 ans de 'Love' de Gaspar Noé. - Wild Bunch Distribution

Le décret du précédent gouvernement assouplissant la classification des films, qui était contesté par des associations conservatrices, a été validé par le Conseil d'État.

Les scènes de sexe non simulées dans les films ne sont désormais plus interdites aux mineurs. Telle est la décision que vient de prendre le Conseil d'État. La haute juridiction a jugé légal le décret pris en ce sens en février 2017 par l'ancienne ministre de la Culture Audrey Azoulay.

Avant ce décret, les films "avec des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence" étaient automatiquement interdits aux mineurs. Grâce à cela, l'association Promouvoir (qui affirme défendre les "valeurs judéo-chrétiennes") avait fait interdire aux moins de 18 ans le premier Nymphomaniac et Antichrist de Lars Von Trier, Ken Park de Larry Clark, Love de Gaspard Noé, ou encore le film d'horreur Saw 3D.

Le décret de février 2017 a donc assoupli la classification en supprimant la référence au "sexe non simulé". Il a été attaqué devant le Conseil d'État par les associations Promouvoir et Action pour la dignité humaine. Mais les juges du Palais Royal ont rejeté tous leurs arguments.

Contraire au code pénal?

D'abord, les associations prétendaient que ce décret, en permettant de montrer aux mineurs des scènes de sexe, violait le code pénal -plus précisément l’article 227-24 qui punit de 3 ans de prison et 75.000 euros d'amende la diffusion de messages "à caractère violent, ou incitant au terrorisme, ou pornographique, ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur". Mais cet argument a été rejeté par le Conseil d'État, qui a jugé suffisants les critères d'interdiction aux mineurs du nouveau décret (cf. encadré ci-dessous). Lors de l'audience, le rapporteur public du Conseil d'État Edouard Crépey a plaidé: "L’acception de la pornographie et de la violence par le législateur pénal ne va pas jusqu’à imposer que tous les films qui comportent des scènes de sexe ou de grande violence, ne puissent être représentés à des mineurs. Ce serait au demeurant anachronique, à l’heure de l’internet en libre accès".

D'autant que cet article du code pénal n'a jamais été appliqué au cinéma. Il a été utilisé une fois contre un livre, Il entrerait dans la légende de Louis Skorecki, dont l'éditeur Léo Scheer avait été condamné en 2003 en première instance à 7500 euros d'amende, mais relaxé en appel puis en cassation. Toutefois, pour l'ancien président de la commission de classification des films Jean-François Mary, l'article du code pénal "est rédigé de telle sorte qu'il est susceptible de frapper des oeuvres d'art, et en particulier cinématographiques". Et donc "le risque d'actions pénales contre des films existe en l'état actuel du droit". Dans un rapport, il avait donc proposé de modifier la loi pour écarter ce risque.

Classé X ou pas?

Autre argument des associations: tous les films interdits aux mineurs devraient être classés X. Mais, là encore, cet argument a été rejeté. "Un critère artistique a été ajouté à bon droit" dans le nouveau décret pour classer X ou pas les films interdits aux mineurs, a estimé Edouard Crépey. Pour lui, "le critère de sexe non simulé avait en pratique perdu toute portée depuis que le Conseil d'État, avec sa décision sur le film Love, avait pris acte de ce que l’éventuel recours à des prothèses ou à des images de synthèse était indifférent eu égard à l’effet produit sur le spectateur. La notion de scènes de sexe non simulées renvoyait depuis lors à la notion de scènes qui présentent, sans aucune dissimulation, des pratiques à caractère sexuel".

Rappelons que la classification du film est effectuée par le ministre de la Culture, après avis consultatif de la commission de classification des films -avis qui est suivi dans la quasi-totalité des cas.

Impact économique important

Cette classification est "très importante pour la vie économique du film", soulignait Audrey Azoulay. En effet, en salles, une interdiction aux moins de 18 ans réduit d'abord le nombre de spectateurs potentiels, mais ferme aussi les portes des grands circuits comme UGC ou Pathé, dont la politique est de ne pas projeter de films interdits aux mineurs. Ensuite, certaines plateformes de vidéo-à-la-demande comme iTunes refusent les films interdits aux moins de 18 ans. Enfin, à la télévision, un film interdit aux moins de 18 ans ne peut être diffusé que sur une chaîne payante entre minuit et 5 heures du matin. Et les chaînes gratuites n'ont pas le droit de diffuser avant 22h un film interdit aux moins de 12 ans, et avant 22h30 un film interdit aux moins de 16 ans. Toutefois, par dérogation, un film interdit aux moins de 12 ans peut être diffusé à 20h30 quatre fois par an et par chaîne.

La classification avant et après

Depuis 2003, cinq classifications sont possibles:
-autorisé pour tous publics
-interdit aux moins de 12 ans
-interdit aux moins de 16 ans
-interdit aux moins de 18 ans
-interdit aux moins de 18 ans et classé X

Dans le décret de 2003, un film qui "comporte des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence mais qui, par la manière dont elles sont filmées et la nature du thème traité, ne justifient pas" un classement X, est seulement interdit aux moins de 18 ans

Dans le décret de 2017, un film qui "comporte des scènes de sexe ou de grande violence qui sont de nature, en particulier par leur accumulation, à troubler gravement la sensibilité des mineurs, à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser" est interdit aux moins de 18 ans. Toutefois, "le parti pris esthétique ou le procédé narratif sur lequel repose le film peut justifier que le visa d'exploitation ne soit accompagné" que d'une interdiction aux moins de 18 ans sans classement X. D'une manière générale, le décret précise que "la mesure de classification est proportionnée aux exigences tenant à la protection de l'enfance et de la jeunesse, au regard de la sensibilité et du développement de la personnalité propres à chaque âge, et au respect de la dignité humaine".

Jamal Henni