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Comment Amazon dicte sa loi aux maisons d'édition françaises

Amazon devrait devenir le premier libraire de France en 2017 au grand dam des éditeurs de plus en plus soumis

Amazon devrait devenir le premier libraire de France en 2017 au grand dam des éditeurs de plus en plus soumis - Mario Tama - Getty Images - AFP

Alors que la Commission Européenne vient d'ouvrir une enquête sur les pratiques commerciales d’Amazon dans le livre numérique, un éditeur français nous explique -sans langue de bois- comment le site américain le met sous pression permanente.

"Amazon, on le sait, c’est le salopard fiscal, le salopard social mais aussi, et c’est moins connu, le salopard commercial!" Cet éditeur français n’y va pas par quatre chemins lorsqu’il s’agit d’évoquer son principal client. Sous couvert d’anonymat ("aucune éditeur ne peut se permettre de se griller avec Amazon..."), il nous explique comment le site américain leur met une pression permanente pour obtenir les meilleures conditions. Une situation qui préoccupe jusqu’aux plus hautes autorités européennes puisque la Commission a ouvert cette semaine une enquête concernant les pratiques commerciales du numéro 1 mondial du e-commerce en matière de livre électronique.

Concrètement, Margrethe Vestager, la commissaire en charge de la concurrence, soupçonne l’existence de certaines clauses des contrats signés par Amazon avec des maisons d'édition, qui les obligent à informer le site s'ils offrent des conditions plus favorables ou différentes à ses concurrents et à lui accorder des conditions analogues ou au moins aussi favorables. En France, le géant n’est pas visé par l’enquête car le poids du livre électronique est marginal (moins de 2% du marché du livre) à la différence de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne où il représente déjà le quart des ventes des maisons d'édition.

500 euros pour une demi-heure de retard

En revanche, sur le livre papier, Amazon est très puissant dans l’Hexagone et pourrait même selon Xerfi supplanter la Fnac au rang de première libraire de France d’ici 2017. Une montée en puissance qui inquiète au plus haut point les éditeurs contraints de composer avec un acteur qui ne cesse de les pressuriser. "Les pratiques commerciales d’Amazon sont invraisemblables, c’est la grande distribution en pire", se plaint cet éditeur. Ainsi l’année dernière, le site a fait parvenir un document de cinq pages dans lequel il dicte ses exigences. Et pas question pour les éditeurs de s’y soustraire sous peine de mesures de rétorsions terribles. Hachette l’a subi à ses dépens aux Etats-Unis l’année dernière.

Au rang des exigences: l’arrivée à l’heure pile des camions de livraison de livre à l’entrepôt. La moindre demi-heure de retard est facturée 500 euros par le site à l’éditeur retardataire. Une somme qui est automatiquement défalquée de la facture suivante... Et tant pis si le retard est dû à Amazon lui-même. "Il y a quelques mois, notre chauffeur est arrivé à l’heure mais il y avait embouteillage à l’entrepôt d’Amazon. Du coup, la livraison n’a pas eu lieu à l’heure et nous avons été sanctionnés", explique l’éditeur.

Personne n'ose se plaindre 

Autre exigence d’Amazon: les factures doivent être dématérialisées. L’éditeur qui s’amuserait à envoyer une facture papier au géant de Seattle se verrait imputer "un coût de traitement" de 5 euros par facture. Par ailleurs un document au format Pdf étant considéré par Amazon comme une facture papier, donc 5 euros de traitement pour l’éditeur qui enverrait une facture sous ce format. Comme la police, Amazon autorise cependant ses fournisseurs à contester les "amendes" et ce jusqu’à 120 jours suivant la date de notification. Mais dans les faits, personne ne s’y risque.

Car si tous les éditeurs jugent ses conditions inacceptables, personne ne bronche. "La seule action serait collective dans le cadre d’un syndicat comme le SNE (Syndicat national de l’édition), explique l’éditeur. Mais même là il n’y a pas unanimité car les membres ne sont pas à l’aise avec le géant américain." Le plus paradoxal c’est que même au sein d’Amazon France, certains juge ces pratiques excessives. "Quand on est seul à seul, certains responsables -qui viennent pour la plupart d’autres enseignes françaises- nous disent qu’ils sont désolés d’appliquer de telles conditions mais qu’ils n’ont pas le choix...", explique le responsable de cette maison d’édition. "Notre objectif est de proposer à nos clients l’offre de produits la plus large tout en leur proposant un service irréprochable, écrit Amazon dans son mémo. Pour atteindre cet objectif, il est indispensable d’avoir le soutien de nos fournisseurs." Même contraint et forcé…

Les extraits du document dans lequel Amazon fixe ses conditions aux éditeurs

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Frédéric Bianchi