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Comment Hanouna et Nagui font la fortune de Courbit (et inversement)

Stéphane Courbit a racheté la société de Nagui en 2009 puis celle de Cyril Hanouna en 2012

Stéphane Courbit a racheté la société de Nagui en 2009 puis celle de Cyril Hanouna en 2012 - AFP FRANCK FIFE / MARTIN BUREAU / MEHDI FEDOUACH

Touche pas à mon poste ou N'oubliez pas les paroles sont tous produits par Banijay Zodiak, la société de production de Stéphane Courbit. Le producteur a dû dévoiler ses comptes pour la première fois, avec plusieurs révélations à la clé.

Tout le monde connaît Touche pas à mon poste, Koh Lanta, Fort Boyard, N'oubliez pas les paroles, 28 minutes.... Mais peu de monde sait que ces émissions sont toutes produites par le même groupe, Banijay Zodiak. Et peu de monde connaît son président et principal actionnaire, Stéphane Courbit, dont les apparitions publiques et les interviews sont rarissimes.

Cette discrétion porte notamment sur ses affaires. Ses sociétés ne déposent pas leurs comptes au tribunal de commerce, bien que ce soit une obligation légale. Il s'est d'ailleurs fait épingler à ce sujet par la justice, comme l'a révélé Satellifax.

Se faire violence

Mais en juin, Stéphane Courbit a dû se faire violence. Il a levé de l'argent sous forme d'obligations, cotées à la bourse de Guernesey. Pour cela, il a dû convaincre des investisseurs, via une tournée de rencontres (road show). Surtout, il a dû enfin lever le voile auprès d'eux sur les résultats de son groupe. Il leur a fourni un épais document de 515 pages contenant les comptes de Banijay Zodiak.

Ce document contient plusieurs révélations. On y découvre notamment le salaire de Stéphane Courbit: en 2016, il a touché, via sa société Financière Lov, pas moins de 4,5 millions d'euros. Mais Stéphane Courbit et les autres actionnaires ne touchent pas de dividendes, car Banijay n'en a jamais distribué, et entend poursuivre cette politique.

Dépendance vis-à-vis de Canal Plus

Autre révélation: le poids important de son principal client, Canal Plus. En 2016, la chaîne cryptée et ses filiales D8 et D17 lui ont commandé pour 70 millions d'euros de programmes, essentiellement les émissions produites par Cyril Hanouna. Le groupe Canal Plus représente donc 39% du chiffre d'affaires réalisé en France. Hasard ou coïncidence, le propriétaire de Canal Plus, Vivendi, est aussi un des principaux actionnaires de Banijay Zodiak... L'autre grand client hexagonal est France Télévisions, avec 60 millions d'euros de commandes (Fort Boyard et surtout les émissions de Nagui), soit 35% des revenus français de la société.

Dans le document, Banijay avoue sans détours être dépendant de ses clients diffuseurs, sans avoir de contrôle sur leurs décisions: "Par exemple, Canal Plus a décidé en 2015 d'arrêter de commander Le Grand journal à notre filiale KM, pour le produire en interne. KM ne détenait pas les droits du Grand journal". Le document précise que KM ne produit désormais plus aucune émission régulière, hormis 28 Minutes sur Arte.

Pire: dans certains cas, "nous pouvons investir des ressources substantielles dans un programme qui n'est pas renouvelé, et donc ne pas atteindre le chiffre d'affaires ou les marges prévues". Banijay explique que cela est arrivé avec trois programmes français: Dilemme (une émission de télé-réalité diffusée sur W9 en 2010), Volte face (un jeu quotidien de Nagui sur France 2 qui a tenu un mois et demi en 2012) et The cover (un télé-crochet de Cyril Hanouna qui n'a été diffusé qu'une seule fois en prime time sur C8 en 2014).

Banijay admet aussi dépendre de ses deux principaux animateurs français: "Le risque existe de perdre des animateurs au profit de la concurrence. Par exemple, il pourrait être difficile de remplacer les programmes de Cyril Hanouna et Nagui, deux animateurs populaires en France". En Allemagne, Banijay a ainsi perdu 45 millions d'euros de revenus suite au départ en retraite de l'animateur à succès Stephan Raab... De même, Zodiak a perdu 17 millions d'euros de revenus après le départ des dirigeants de sa filiale espagnole à l'été 2015.

Des marges généreuses

Le document permet aussi de découvrir la bonne rentabilité de Banijay Zodiak: 12% de marge brute d'exploitation en 2016 -une marge supérieure à celle de bien des chaînes de télévision, ce qui explique sans doute la discrétion de Stéphane Courbit. "Un client risque toujours de s'énerver quand il découvre que son fournisseur fait plus de marge que lui", relève un analyste obligataire.

Les comptes montrent surtout que Banijay Zodiak n'est pas le fruit d'une fusion entre égaux. Banijay, la société d'origine de Stéphane Courbit, avait un chiffre d'affaires plus petit, mais était rentable et en croissance. Tandis que Zodiak, appartenant à l'italien De Agostini, était déficitaire et voyait son chiffre d'affaires chuter. Résultat: lors de la fusion entre les deux en 2015, Banijay a été valorisé 350 millions d'euros, et Zodiak seulement 44,6 millions d'euros (après que De Agostini a réinjecté 40 millions d'euros). Et le nouvel ensemble a été valorisé 382 millions d'euros.

À l'occasion de cette fusion, sont sortis du capital les actionnaires minoritaires de Banijay: le groupe Arnault (17,1%), la famille Agnelli (17,1%) et Jean-Paul Bize (14%). Ces minoritaires étaient rentrés en 2008, mais Stéphane Courbit leur avait promis qu'ils pourraient sortir en 2015. Ils ont fait une très bonne affaire: rentrés sur une valorisation de 206 millions d'euros, ils sont ressortis sur une valorisation de 350 millions.

Refinancement de la dette

Enfin, et non des moindres, le document détaille la stratégie à venir: se développer en Allemagne, Espagne, dans certains pays émergents (Pologne, Inde...), dans la fiction (pour passer de 11% à 20% du chiffre d'affaires à moyen terme), dans la vente de formats appartenant à des tiers (distribution)... Mais aussi poursuivre les acquisitions de sociétés, en étant prêt à payer 6 à 8 fois leur bénéfice opérationnel. Selon Challenges, des négociations avancées sont en cours pour le rachat de la société de Christophe Dechavanne.

Finalement, Stéphane Courbit a bien séduit le marché obligataire. La demande a été plus de cinq fois supérieure à l'offre. Il a donc pu lever plus que prévu: 365 millions au lieu de 350. Il paiera un taux d'intérêt modeste, 4%, bien que Banijay Zodiak ait été classé B+, c'est-à-dire en catégorie spéculative (junk), par les agences de notation. 

Cet argent servira notamment à financer le rachat pour 57 millions d'euros du britannique Castaway, l'inventeur du format Koh Lanta. Il a servi aussi à rembourser une partie des 100 millions d'euros empruntés en 2016 à Vivendi sous forme d'obligations. Désormais, cet emprunt obligataire est seulement de 25 millions d'euros, à 3% par an. Il est remboursable en actions Banijay Zodiak en 2023, ou avant en cash si Banijay le choisit. Simultanément, Vivendi a réinjecté au capital 40 millions d'euros (après avoir déjà mis 100 millions en 2016).

À noter que le pacte d'actionnaires conclu avec Vivendi prévoit explicitement la possibilité d'une introduction en bourse de Banijay Zodiak, une option déjà évoquée par le passé. Stéphane Courbit n'en est donc qu'au début de son exercice de transparence.

Contacté, Banijay n'a pas souhaité faire de commentaires.

Les filiales en France

Adventure Line Productions (100%): Koh Lanta, Fort Boyard
Air Productions (97,6%): N'oubliez pas les paroles, Taratata, Tout le monde joue
H2O Productions (92,72%): Touche pas à mon poste
KM (100%): 28 minutes
Banijay Productions (97,6%): les Ch'tis, Une saison au zoo
Banijay Studios France (ex Zodiak fictions & docs): Versailles
Gétévé Productions (100%)
Non Stop People (61%)
My Major Company & Bamago (50%)
Skillstar.com (50%)
EuroMedia (8,71%)

Les principaux clients de Banijay Zodiak (en % du chiffre d'affaires, en 2016)

Canal Plus: 9%
NBC Universal: 9%
France Télévisions: 8%
Viacom: 7%
Mediaset: 6%

Les résultats de Banijay Zodiak

Chiffre d'affaires
2013: 290,5 pour Banijay / 442,4 pour Zodiak
2014: 305,4 pour Banijay / 422,9 pour Zodiak
2015: 788,5 pour Banijay Zodiak / 367,5 pour Banijay / 421,5 pour Zodiak
2016: 776,6 pour Banijay Zodiak

Résultat opérationnel
2013: +24,3 pour Banijay / -35 pour Zodiak
2014: +30,8 pour Banijay / -78,6 pour Zodiak
2015: +35,1 pour Banijay Zodiak / +44,3 pour Banijay / -119,1 pour Zodiak
2016: +49,4 pour Banijay Zodiak

Résultat net
2013: -21,9 pour Banijay / -64,1 pour Zodiak
2014: +11,5 pour Banijay / -105,8 pour Zodiak
2015: -44,5 pour Banijay Zodiak / -20,2 pour Banijay / -145,6 pour Zodiak
2016: +16,6 pour Banijay Zodiak

Actionnaires
Lov Banijay: 31%
De Agostini: 30,9%
Vivendi: 28,3%
Dirigeants: 9,7% dont Marco Bassetti 3,9%

Jamal Henni