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Pourquoi H&M en est à détruire ses milliards d'euros d'invendus

H&M aurait détruit quelques 100.000 pièces de vêtements, selon des documents internes. Invendus qui décollent, baisse de la rentabilité, manque de réactivité et collections ratées... En quelques mois à peine, la mécanique du champion suédois de la "fast fashion" s'est grippée.

H&M croule tellement sous les invendus que le géant du prêt-à-porter suédois aurait détruit 100.000 pièces dont il ne parvenait pas à se défaire, selon des documents internes que s'est procuré WirtschaftsWoche. Il y a quelques mois, H&M annonçait une hausse de ses stocks de 8% au premier trimestre 2018. Plus de 4 milliards de dollars de jeans, sweat-shirt et petits pulls s'accumulaient dans les entrepôts, ont calculé Bloomberg et le New York Times.

La plupart de ces vêtements proviennent de la collection printemps, mais H&M reconnaît aussi qu'une petite partie du stock date de plus d'un an. Depuis plusieurs mois déjà, le groupe vend moins. Encore au premier trimestre 2018, ses ventes ont chuté de 6% en Allemagne, son premier marché, et elles ont dégringolé de 10% en France, son quatrième marché.

Il y a quelques mois, des journalistes danois révélaient qu'une centrale avait remplacé son charbon par des vêtements invendus de H&M (15 tonnes au total) pour produire son électricité. La firme s'était défendue en affirmant qu'il s'agissait de produits défectueux, mais son image en avait pris un coup.

17 t-shirts par personne et par an, le spectre de la surproduction 

Que se passe-t-il au royaume suédois de H&M? Naguère au coude-à-coude avec Inditex (Zara) pour le titre de premier vendeur textile au monde, le groupe a désormais décroché. La belle machine Hennes & Mauritz serait-elle grippée, ou seulement enrhumée par la météo de cet hiver, explication donnée à la baisse de régime par le directeur général Karl-Johan Persson?

Les causes du mal sont en réalité profondes. Premier sujet: la hausse des coûts de production. H&M s'est lancé dans une politique de développement durable et a refusé de redéployer sa production dans les nouveaux pays à bas coût comme Myanmar, le Kenya ou l'Ethiopie. Un choix audacieux mais coûteux financièrement. La marge brute de H&M (la différence entre le prix de revient et le prix de vente d'un vêtement) est passée en un an de 52 à 49%. Le tout sans que la marque y acquiert l'aura d'un acteur vertueux, vers qui se tourneraient ceux qui s'habillent durable et responsable.

En parallèle, le contexte de pression promotionnelle s'est accru. "En cinq ans, le taux de vêtements vendus en solde ou en promo est passé de 15 à 22% au niveau mondial", explique Laurent Thoumine, spécialiste textile chez Accenture. Principalement en raison de la saturation de l'offre. "Les usines textiles du monde produisent actuellement 17 t-shirts par personne et par an! Mais qui a besoin de 17 t-shirts par an?" 

H&M pris en sandwich

Cette surproduction résulte de l'arrivée en masse de nouveaux concurrents. Des acteurs qui heurtent le modèle H&M, explique Pierre-François Le Louët, président du cabinet de tendance Nelly Rodi. D'un côté, "des marques de 'luxe abordable', comme Sandro, Maje et The Kooples, fabriquent des vêtements exceptionnels à prix accessibles et à forte désirabilité". De l'autre, "des acteurs encore moins chers que H&M squattent l'entrée de gamme avec un fort appétit mode", souligne-t-il. Aujourd'hui, ce sont Primark et Kiabi qui drainent les foules voulant acheter à bas prix.

Dernière épine dans son pied: "Zara a baissé ses prix sur beaucoup de ses marchés, dont l'Europe, jusqu'à 20% pour certaines catégories de produits. La marque se retrouve ainsi en concurrence frontale avec H&M", souligne Pierre-François Le Louët. Or les atouts de sa maison-mère, Inditex, lui font très mal. L'Espagnol, qui fabrique en Europe ou tout près, "surpasse H&M en logistique et se montre beaucoup plus réactif sur les tendances", détaille le spécialiste.

Zara six fois plus rapide que H&M... et deux fois plus rentable

Quand H&M reconnaît à demi-mot avoir raté sa dernière collection, Zara capte instantanément les tendances sur les réseaux sociaux grâce à l'intelligence artificielle. Ses analystes de datas sont par exemple capables de dire "en ce moment sur Singapour, c'est le vert qui est posté sur Instagram, il faut qu'on fasse du vert", illustre Laurent Thoumine.

Ensuite, grâce à sa production concentrée sur le bassin méditerranéen (Espagne, Turquie, Afrique du Nord), Zara prend seulement cinq semaines en moyenne entre la conception et la mise en rayon d'un article. Alors que ce délai peut durer jusqu'à six mois pour H&M selon un rapport du Fung Global Retail & Technology. Problématique pour l'inventeur de la "fast fashion".

À l'arrivée, sur l'année 2017, Inditex a revendiqué un résultat net plus de deux fois supérieurs à celui du suédois (3,35 milliards d'euros contre 1,6 milliard).

L'accent sur Cos, Monki et &OtherStories?

Gare à ne pas enterrer trop vite le suédois, argue de son côté Yves Marin, du cabinet Wavestone. Avec plus de 20 milliards de ventes en 2017, H&M reste "un leader incontestable du prêt-à-porter", derrière Inditex, mais très loin devant le troisième mondial, Uniqlo, et ses 14 milliards de ventes sur la période.

Pour lui, la hausse des stocks ne veut rien dire. "Il se peut que leur niveau ait été mesuré au moment où H&M recevait les approvisionnements des nombreux magasins qu'il ouvre actuellement". Entre ses marques Cos, &OtherStories, Monki ou Cheap Monday, le géant devait ouvrir 90 nouvelles boutiques en 2018. "Ces marques dont les ventes augmentent, nécessitent des investissements qui plombent temporairement la rentabilité d'H&M", estime Yves Marin. Certes, "le marché est compliqué, il se concentre, et un leader mondial est forcément exposé". Mais, il faut nuancer, la situation d'H&M n'a rien de celle d'un Vivarte ou d'un Gap.

Frédéric Bianchi et Nina Godart