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Transports

Comment Uber échappe à l'impôt

Uber vise un chiffre d'affaires de 2 milliards de dollars en 2015

Uber vise un chiffre d'affaires de 2 milliards de dollars en 2015 - Eliot Blondet AFP

Le VTC américain n'a jamais payé d'impôt sur les bénéfices en France, où il ne déclare qu'une fraction de ses revenus réels, grâce un montage d'optimisation fiscale passant par les Pays-Bas, les Bermudes et le Delaware.

Dans la violente bataille qui oppose taxis aux VTC (véhicules de tourisme avec chauffeur), la fiscalité fait partie des arguments principaux. Comme le soulignent les VTC, les taxis refusent le plus souvent d'être payés en carte bancaire et n'acceptent que le liquide, ce qui leur permet de ne pas déclarer tous leurs revenus au fisc.

Et les VTC mettent en avant qu'ils acceptent, eux, la carte bancaire. Mais tous ces VTC ne sont pas vertueux pour autant. En effet, le premier d'entre eux, Uber, a mis en place un montage d'optimisation fiscale destiné à réduire au maximum l'impôt qu'il acquitte. 

Chiffre d'affaires ridicule

Certes, l'américain possède bien une filiale en France, Uber France SAS. Mais celle-ci ne déclare au fisc français qu'un chiffre d'affaires ridicule: 1,8 million d'euros en 2013. Soit une infime fraction des revenus réalisé en France, qui doit se chiffrer en dizaines de millions d'euros. Interrogé, Uber France refuse de communiquer son chiffre d'affaires effectif, indiquant juste utiliser 7.500 à 8.000 chauffeurs (dont plus de 1.500 UberPop) et compter un million d'utilisateurs réguliers. 

Zéro impôt sur les bénéfices

Mieux: déficitaire depuis sa création, cette filiale française n'a jamais payé un centime d'impôt sur les bénéfices.

L'explication est la suivante. La filiale française est uniquement chargée "de la relation avec les partenaires [les chauffeurs...], de la promotion de la marque, et du support marketing", indiquent ses comptes. 

Ce n'est pas cette filiale française qui facture les courses, mais une filiale néerlandaise, Uber BV. Les conditions d'utilisation indiquent d'ailleurs: "votre co-contractant est Uber BV, société établie aux Pays-Bas".

L'argent des courses est ensuite reversé par Uber BV à ses sous-traitants: de petites sociétés de VTC, ou des chauffeurs qui travaillent à leur compte. Ce sont ces sous-traitants qui effectuent la course. Uber souligne que ces sous-traitants sont "tous immatriculés en France, et paient leurs impôts et charges en France". Du moins si ceux-ci remplissent leurs obligations fiscales...

Boîtes aux lettres aux Bermudes

Toutefois, la filiale néerlandaise Uber BV récupère une commission de 20%. L'argent part ensuite aux Bermudes. En effet, Uber BV appartient à une holding baptisée Uber International CV, simple boîte aux lettres n'employant aucun salarié, qui est immatriculée à la fois aux Pays-Bas et aux Bermudes. 

Rappelons que l'impôt sur les bénéfices est nul aux Bermudes, et de 25% aux Pays-Bas. Mais c'est encore trop pour Uber, qui, pour échapper au fisc batave, utilise une niche fiscale du code des impôts néerlandais. 

Niche fiscale néerlandaise

Précisément, la filiale néerlandaise Uber BV paye une gigantesque redevance pour avoir le droit d'utiliser les brevets d'Uber, à en croire ses comptes (disponibles ci-dessous). Cette redevance est envoyée vers une autre filiale d'Uber, visiblement la filiale immatriculée aux Bermudes. Intérêt: cette gigantesque redevance n'est pas imposée aux Bermudes, mais n'est pas imposée non plus aux Pays-Bas, grâce à une niche fiscale néerlandaise.

Pire: le versement de cette gigantesque redevance réduit quasiment à néant les bénéfices de la filiale néerlandaise Uber BV, et donc l'impôt sur les bénéfices acquitté au fisc batave. Précisément, la marge opérationnelle d'Uber BV est plafonnée à 1%, à en croire ses comptes. Avec un tel système, l'impôt sur les bénéfices d'Uber BV ne dépasse donc pas 0,25% du chiffre d'affaires...

L'impôt auquel Uber n'échappe pas

Enfin, et non des moindres, après les Bermudes, le californien utilise le Delaware, le paradis fiscal interne des Etats-Unis...

Heureusement, il existe toutefois un impôt auquel l'américain ne peut échapper: la TVA, qui est acquittée aux Pays-Bas, puis rapatriée en France, "conformément aux règles de TVA intra-européennes", souligne le porte-parole d'Uber.

Le porte-parole ajoute être implanté aux Pays-Bas et au Delaware "pour des raisons de simplicité administrative" (sic), mais se refuse à tout commentaire sur les Bermudes. En outre, "sur les 20% de commission, plus de la moitié revient ensuite en France pour financer la filiale française. Au total, plus de 90% du montant de la course revient en France, ce qui est très élevé pour une société technologique américaine".

Les Pays-Bas, état tunnel vers les Bermudes

"Un flux quittant la France pour les Bermudes fera l’objet d’une [imposition] retenue à la source [c'est-à-dire en France] au taux de 33,3%. Mais d’autres États, comme les Pays-Bas, ne soumettent de telles transactions à aucun prélèvement. Le flux qui quitte la France pour les Pays-Bas ne sera soumis à aucune retenue à la source car il s’agit d’un flux intra-communautaire. Il pourra ensuite être remonté aux Bermudes en franchise d’impôt en application de la législation néerlandaise... Les Pays-Bas ne pratiquent aucune retenue à la source sur les redevances qui quittent leur territoire. C’est ce qui leur vaut le qualificatif, souvent employé, d’État-tunnel" (rapport des députés Pierre-Alain Muet et Eric Woerth sur l'optimisation fiscale des multinationales)

L'actionnariat des filiales d'Uber

Uber France SAS 
Siège: Paris
Actionnariat: Uber International Holdings BV (100%)

Uber International Holdings BV
Siège: Amstedam
Actionnariat: Uber International  BV (100%)

Uber BV
Siège: Amstedam
Actionnariat: Uber International BV (100%)

Uber International BV
Siège: Amstedam
Actionnariat: Uber International CV (100%)

Uber International CV
Siège: Hamilton, Bermudes
Associé en nom: Neben LLC (Delaware)
Propriétaire ultime: Uber Technologies Inc (Californie)

Source: comptes des sociétés

Jamal Henni