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Comment va être désigné le nouveau patron de Radio France?

Les radios publiques vont avoir un patron par intérim, puis un nouveau patron dans les six mois

Les radios publiques vont avoir un patron par intérim, puis un nouveau patron dans les six mois - Christophe Abramowitz / Radio France

Après la révocation de Mathieu Gallet, le gendarme de l'audiovisuel va désigner son successeur. Mais ira-t-il au bout de son mandat?

Mercredi 31 janvier, le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) a révoqué Mathieu Gallet de son poste de PDG de Radio France. Une révocation inédite qui ouvre une période d'incertitude pour les radios publiques. Passage en revue de ce qui peut se passer maintenant, en quatre questions. 

1- Qui va assurer l'intérim?

Les statuts de Radio France indiquent: "Dans le cas où le président cesserait définitivement d'exercer son mandat pour quelque cause que ce soit, il est suppléé de plein droit par le doyen en âge des administrateurs nommés par le CSA".

En l'espèce, il s'agit de Jean-Luc Vergne, 69 ans, nommé administrateur fin 2016. Notre homme a fait une carrière dans les ressources humaines, notamment chez Sanofi, Elf Aquitaine, PSA et BPCE, mais n'a aucune expérience dans l'audiovisuel. Il se revendique "socialiste light" et a des responsabilités au sein de La République en marche (il est membre de la commission des conflits du parti présidentiel).

2- Qui va désigner le nouveau PDG?

Selon les textes en vigueur, c'est le CSA qui va désigner le nouveau PDG. "On va appliquer la loi qui existe aujourd'hui. Et la loi prévoit que le CSA désigne un PDG dans les semaines qui viennent", a confirmé jeudi sur France Inter Christophe Castaner, secrétaire d'État aux relations avec le Parlement et délégué général de La République en marche.

Certes, Emmanuel Macron a promis dans son programme de retirer ce pouvoir de nomination au CSA pour le confier aux conseils d'administration des chaînes. Mais ce changement nécessite le vote d'une loi, ce qui prendra du temps, et donc ne pourra s'appliquer pour désigner le successeur de Mathieu Gallet. "Le gouvernement travaille sur une loi sur l'audiovisuel public pour la fin de cette année", a indiqué Christophe Castaner.

3- Dans combien de temps sera nommé le nouveau PDG?

Le CSA doit lancer un appel à candidatures, auditionner les candidats, puis choisir l'un d'entre eux. En 2014, ce processus avait duré deux mois et demi pour aboutir au choix de Mathieu Gallet.

La loi prévoit ensuite une période de cohabitation de "deux à trois mois" pour que le nouveau PDG prépare sa prise de fonctions. Toutefois, cette période dite de "tuilage" n'a guère de sens dans le cas actuel. 

Au total, "on en a a priori pour six mois", a prédit jeudi sur France Inter la députée LaREM Frédérique Dumas.

4- Le nouveau PDG ira-t-il au bout de son mandat?

Le nouveau PDG va être nommé par le CSA pour un mandat de 5 ans.

Toutefois, la loi imposant un nouveau mode de nomination interviendra avant la fin de ce mandat. Et cette loi pourrait interrompre avant terme les mandats en cours des dirigeants en place. "Si la loi prévoit un nouveau mode de désignation, celui-ci pourrait s'appliquer immédiatement, ou pourrait ne pas s'appliquer en attendant la fin de l'échéance. Rien n'est arrêté aujourd'hui sur ce sujet, rien n'est décidé", a dit jeudi Christophe Castaner. 

Néanmoins, remercier avant terme les dirigeants pose plusieurs problèmes. Politiquement, ce sera vu comme une reprise en main sans précédent de l'audiovisuel public par le nouveau pouvoir. Même Nicolas Sarkozy, lorsqu'il avait changé le mode de nomination, avait laissé les dirigeants en place, avec lesquels il avait des relations exécrables, terminer leur mandat...

Et juridiquement, cela pourrait s'avérer contraire à la Constitution. Précisément, cela pourrait être considéré comme une atteinte à l'indépendance des médias, qui a désormais valeur constitutionnelle. Néanmoins, cet obstacle juridique pourrait être contourné. "Il y a un risque constitutionnel si la loi ne vise qu'à interrompre les mandats avant terme. En revanche, ce risque est plus faible si la loi a un autre objet, par exemple fusionner les sociétés de l'audiovisuel public, ou bien créer une holding commune, ou bien dissocier les fonctions de président et de directeur général... bref, si l'interruption des mandats en cours n'est que la conséquence inévitable d'une nouvelle organisation", détaille un expert.

Mathieu Gallet peut-il faire annuler sa révocation?

Pour démettre Mathieu Gallet, le CSA a utilisé -pour la première fois- un article de la loi sur l'audiovisuel, qui indique que "le mandat de président de la société Radio France peut lui être retiré, par décision motivée". La loi ajoute qu'une telle décision doit "se fonder sur des critères de compétence et d'expérience", et être prise "à la majorité des membres" du collège du CSA (soit quatre voix sur sept). Assez flou, ce texte de loi laisse donc une importante marge d'appréciation au CSA.

Mathieu Gallet n'a pas encore dit s'il allait contester son renvoi, mais il a trois possibilités:

1- Déposer devant le Conseil d'État un recours au fond pour "excès de pouvoir". Un tel recours n'est pas suspensif et mettra environ un an avant d'être jugé. Si Mathieu Gallet gagne, il ne récupérera pas son poste, mais sans doute le salaire qui aurait dû lui être versé jusqu'à la fin de son mandat en mai 2019 (son salaire annuel est de 186.400 euros, plus un bonus pouvant aller jusqu'à 37.000 euros). Toutefois, une telle victoire paraît a priori difficile, la décision du CSA respectant apparemment la loi sur l'audiovisuel.

2- Déposer un recours en référé devant le Conseil d'État pour suspendre son renvoi jusqu'à ce que l'affaire soit jugée au fond. Un tel recours est généralement tranché en un mois environ. Pour gagner en référé, Mathieu Gallet devra prouver à la fois l'urgence de la situation (ce qui sera facile) et qu'il existe un doute sérieux sur la légalité de son renvoi (ce qui sera bien plus difficile).

3- Déposer une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour faire juger contraire à la Constitution l'article de loi utilisé par le CSA. "Mais le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé en 2009 sur une version antérieure de cet article. Il a alors jugé que le pouvoir de révocation n’était pas contraire aux principes constitutionnels du pluralisme et de la liberté des médias, notamment parce que la révocation peut être contestée en justice. Toutefois, il est vrai que cet article de loi est imprécis. Mathieu Gallet pourrait donc arguer que cet article accorde un pouvoir discrétionnaire au CSA, ce qui pourrait être contraire à la Constitution", estime François Molinié, avocat au Conseil d'État.

Jamal Henni