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Comprendre la polémique autour de la "taxe Google" en cinq questions

En France et ailleurs, on cherche un moyen de faire payer à Google les contenus des éditeurs de presse qu'il utilise

En France et ailleurs, on cherche un moyen de faire payer à Google les contenus des éditeurs de presse qu'il utilise - -

Google menaçait, jeudi 18 octobre, de ne plus référencer les médias français. A l’origine de sa colère, un projet de taxe dont les recettes reviendraient aux éditeurs français. Explications.

"Ce n’est pas avec des menaces qu’on traite avec un gouvernement démocratiquement élu". La ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, recadrait Google en ces termes le 19 octobre. Le géant américain de l’internet avait, en effet, déclaré la veille que s’il devait payer pour référencer les contenus médias français, il renoncerait à les utiliser. Retour sur les enjeux du bras de fer, en cinq questions.

> Pourquoi une taxe Google ?

Pour les éditeurs de presse, il ne s’agit ni plus ni moins que de rémunérer les droits d’auteur sur internet. C’est d’ailleurs le SPQN, le lobby des quotidiens nationaux, qui a écrit au gouvernement pour réclamer que les moteurs de recherche paient une rémunération pour les contenus qu’ils utilisent.

Les éditeurs de presse considèrent dans ce courrier que la presse a beaucoup investit pour "développer ses sites internet". Et qu’elle a ainsi "créé une importante valeur" dont profitent "des internautes qui accèdent, souvent gratuitement, à des contenus d’actualité à forte valeur ajoutée", selon le communiqué du SPQN. Et ils disent constater "une très importante captation de leur valeur par certains acteurs du monde de l’internet".

Ceux qui proposent le projet de loi reconnaissent que Google et ses équivalents ont un "rôle précieux" en ce qu’ils amènent du trafic sur les sites internet de média. Mais comme le souligne Philippe Jannet, directeur général de Epresse.fr, "le moteur de recherche exploite considérablement la masse d’informations produites par la presse, et ce n’est absolument pas rémunéré par l’audience que Google Actu apporte à la presse".

> Qu'est-ce qui serait taxé ?

Pour les éditeurs, il faut donc "créer un nouveau droit voisin du droit d’auteur, qui bénéficie aux organismes de presse" et dont "les exploitants d’un moteur de recherche ou les prestataires d’un service de référencement" seraient les débiteurs.

En pratique, ils proposent de taxer les liens hypertextes vers les sites d’actualité dès lors qu’ils sont proposés "par un prestataire ou un exploitant". Les liens proposés sur des portails ou des blogs ne sont donc pas concernés.

Pour les autres utilisations, peu importe que le service soit "onéreux" ou "gratuit", ou que les services et exploitants "aient ou non un rôle actif", en hiérarchisant les informations, par exemple, dès lors qu’ils "visent manifestement le public français".

Pour déterminer le montant de la taxe, les éditeurs de presse proposent de prendre en compte les statistiques disponibles "sur le comportement des internautes à l’égard de ces liens".

Ils espèrent un accord rapide sur "les tarifs et les modalités de versement", sans quoi ils proposent qu’une commission administrative fixe un barème.

> Une telle taxe existe-t-elle ailleurs ?

En Allemagne, un projet de loi a été adopté en Conseil des ministres en septembre. Selon le texte, il s’agit de "mieux protéger les éditeurs de presse sur Internet". Ce projet rend donc répréhensible l’utilisation de liens hypertextes vers des contenus médias par des "moteurs de recherche à but commercial ou des entreprises de services commerciales qui assurent le traitement de contenus".

Mais en Allemagne, il n’est pas question de taxer Google à proprement parler. Dès que l’utilisation des liens hypertextes sera réglementée, les médias en ligne pourront entrer en négociation directe avec ceux qui en font une utilisation commerciale. Et définir ensemble de gré à gré un moyen de rémunération. D’après des sources allemandes, le montant de ces droits serait fonction de la longueur du contenu éditorial récupéré par Google et autres.

D'ailleurs, précisons que le le SPQN ne propose pas forcément une "taxe" à proprement parler, et n'avance aucun chiffre, ni sur le taux de rémunération, ni sur ce que cela pourrait rapporter.

> Pourquoi Google hausse le ton ?

Dans un courrier envoyé à la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, le géant du web rappelle qu’il "redirige quatre milliards de clics" par mois sur les sites de presse. Il ne comprend donc pas pourquoi il devrait payer pour générer du trafic sur ces sites. Il estime que cela "remettrait en cause son existence même".

Google affirme encore dans cette missive que la taxe proposée par les éditeurs de presse "aboutirait à limiter l’accès à l’information, à réduire le nombre de sites français référencés sur internet mais aussi à freiner l’innovation". Google parle même d’atteinte indirecte "à la liberté d’expression".

Le moteur de recherche menace donc de ne plus référencer les sites de presse français en cas d’adoption de la taxe. Ce qui serait "néfaste pour la promotion des contenus en langue française", dès lors que "sur la toile, ne pas être référencer c'est sortir du radar", prévient Google. En outre, une telle taxe serait impossible à appliquer si Google quittait la France... ce qui ne serait pas compliqué.

> Comment le gouvernement réagit ?

Froidement. Aurélie Filipetti, s’est déclarée "surprise par le ton de cette correspondance, qui s’apparente à une menace". Or ce n’est pas avec de telles pratiques qu’on ouvre le dialogue "avec un gouvernement démocratiquement élu", prévient-elle. Le 17 octobre, la ministre de la Culture estimait que la taxe était "une bonne idée" et que ses services l'étudiait...

De son côté, la secrétaire d'Etat à l'Economie numérique, Fleur Pellerin, a indiqué qu’elle recevrait ce vendredi des représentants de Google France. Il sera bien évidement question du projet de taxation des moteurs de recherche, mais aussi des recommandations de la Cnil en matière de confidentialité.

Nina Godart