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Concurrence: amende record en vue pour Orange

Les ordinateurs de Vivek Badrinath, Stéphane Richard et Delphine Ernotte ont été saisis

Les ordinateurs de Vivek Badrinath, Stéphane Richard et Delphine Ernotte ont été saisis - Stéphane Foulon Orange

L'opérateur télécoms est accusé d'abus de position dominante sur le marché des services aux entreprises. Saisi par SFR et Bouygues Télécom, le gendarme de la concurrence pourrait infliger une amende de plusieurs centaines de millions d'euros.

Mise à jour: le 2 décembre, le Figaro a indiqué que l'amende serait infligée "avant Noël" et "probablement de plus de 500 millions d'euros"

Depuis toujours, Orange est ultra dominant sur le marché des services télécoms pour entreprises. Ce marché de 6,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires est détenu à environ 60% par l'ex-France Télécom, là où Numericable SFR en possède environ 25%, Bouygues Telecom 6%, le reste revenant à plusieurs petits opérateurs spécialisés, selon l'institut Idate.

Mais les concurrents d'Orange veulent remettre en cause cette domination. Bouygues Telecom a été le premier à dégainer, en 2008, en portant plainte devant l'Autorité de la concurrence. SFR l'a saisie à son tour en 2010.

Casser les prix

Les deux opérateurs reprochent à l'opérateur historique une série de pratiques anti-concurrentielles pour maintenir son leadership sur ce marché pour les entreprises. Plus précisément, les deux concurrents accusent Orange de pratiquer des tarifs trop agressifs: remises de couplage, remises fidélisantes, tarifs discriminatoires, et prix prédateurs (c'est-à-dire en-dessous de leur coût réel), notamment pour les offres groupées comprenant à la fois voix, données et mobiles. En d'autres termes, SFR et Bouygues Telecom estiment qu'Orange, fort de sa position dominante, casse les prix et accorde des ristournes injustifiées aux entreprises dans le but d'évincer ses concurrents. Des pratiques en cours depuis 2003, selon SFR et Bouygues Telecom.

L'ordinateur de Stéphane Richard saisi

Suite à ces plaintes, le gendarme de la concurrence a mené des raids surprise le 9 décembre 2010 au petit matin dans quatre sites de l'ex-France Télécom, dont le siège parisien, le siège de d'Orange France à Arcueil, et celui d'Orange Business Services à Saint Denis. Les enquêteurs ont saisi notamment l'ordinateur du PDG Stéphane Richard, de la patronne des activités françaises Delphine Ernotte, et du patron des activités entreprises Vivek Badrinath.

Furieux, Orange s'est alors lancé dans un long bras de fer judiciaire pour contester ces saisies. Ce bras de fer s'est terminé en mai 2012: la Cour d'appel de Paris donne finalement raison à l'Autorité de la concurrence et valide les raids menés chez Orange.

Sévères griefs

Cela a permis au gendarme de la concurrence de reprendre son enquête, qui s'accélère enfin. Il y a deux mois, l'Autorité de la concurrence a formellement notifié des griefs à Orange, qui sont sévères: "discrimination tarifaire sur le marché de gros fixe, fidélisation sur le marché mobile entreprise, et rabais exclusifs sur le marché données entreprise".

La balle est maintenant dans le camp d'Orange, qui doit répondre à ces accusations. Mais, dans la plupart des cas, le collège de l'Autorité de la concurrence suit les griefs proposés, et inflige une sanction.

Orange risque gros

En l'espèce, Orange risque gros. Au maximum, l'Autorité de la concurrence peut infliger une amende allant jusqu'à 10% du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise concernée, soit 3,9 milliards d'euros dans le cas d'Orange.

En pratique, les juges de la rue de l'Echelle appliquent une méthode de calcul en fonction de la durée de l'infraction et du chiffre d'affaires des activités concernées. Au vu de la durée des faits reprochés à Orange (jusqu'à 12 ans) et de l'importance de son chiffre d'affaires auprès des entreprises françaises (4,3 milliards d'euros en 2014), le groupe de Stéphane Richard pourrait écoper d'une amende de plusieurs centaines de millions d'euros. Sans compter les dommages et intérêts que pourront réclamer ensuite les concurrents (cf. ci-dessous).

La décision de l'Autorité de la concurrence est attendue au plus tôt fin 2015.

Interrogés, l’Autorité de la concurrence s’est refusée à tout commentaire, tandis qu'Orange n'a pas répondu.

Double peine

Les amendes infligées par l'Autorité de la concurrence vont dans le budget de l'Etat, mais n'indemnisent pas les victimes, en l'occurrence les opérateurs concurrents sur le marché entreprises. Mais ceux-ci peuvent porter plainte devant le tribunal de commerce pour obtenir des réparations. Bouygues Télécom a ainsi déposé une plainte en juin 2013, et l'opérateur britannique Colt a fait de même en décembre 2014. Dans ce cadre, Colt estime que le préjudice subit est "considérable et se chiffre en millions d'euros". Bouygues Telecom, pour sa part, avait chiffré le préjudice à 400 millions d'euros.

Toutefois, la filiale du groupe de BTP a signé en mars 2014 avec Orange un accord global pour solder tous les litiges entre les deux groupes. Dans ce cadre, l'ex-France Télécom a fait un chèque de 300 millions d'euros à son rival pour solde de tous comptes. Bouygues Telecom ne pourra donc plus réclamer de dommages dans cette affaire.

Les plus grosses amendes infligées par l'Autorité de la concurrence dans les télécoms

1. Les 3 opérateurs mobiles s'entendent sur leurs parts de marché (2005) : 534 millions d'euros

2. Orange et SFR commercialisent des offres anticoncurrentielles (2012) : 183 millions d'euros

3. France Télécom verrouille le marché de l'internet ADSL (2005) : 80 millions d'euros

Simon Tenenbaum et Jamal Henni