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D’Alcatel à Blablacar

Stéphane Soumier dans Good Morning Business.

Stéphane Soumier dans Good Morning Business. - BFM Business

Le même jour on apprend que Nokia avale Alcatel et que Blablacar s'empare de son principal concurrent européen prenant une dimension décisive. Tout va bien? En fait, non.

Avouez que ça tourne à l’hémorragie. Alstom, Lafarge, Alcatel. Des trois sièges mondiaux qui disparaissent de France sur les derniers mois, le troisième est le plus spectaculaire, parce qu’Alcatel-Lucent disparaît purement et simplement. Va-t-on se poser la question de savoir pourquoi? J’en doute.

Cela supposerait qu'on pose les questions décisives sur notre vision de l’économie, la haine du grand patron et du grand capital. J’avoue que j’en suis le premier surpris ce matin, surpris de mon émotion à voir disparaître le nom d’Alcatel. Pas si vieux que ça finalement, même pas 20 ans d’histoire indépendante après l’explosion de la Compagnie Générale d’Electricité.

Mais cette disparition dit bien ce qu’elle veut dire: nos grands groupes sont mortels. On les voit trônant sur le CAC 40 tels des pyramides. Tu parles! Ils n’en ont évidemment pas la solidité, et on l’a tous oublié. Alors on tire à vue. Comme on essaye un fusil contre un mur. Et l’obsession du politique est systématiquement de faire du grand groupe, à la fin, le bouc émissaire de telle ou telle turpitude: "pensez-vous, ils en ont vu d’autres". Et voilà le mur qui se lézarde sur telle taxe bancaire, telle prime à la cuve, telle taxe télécom, telle norme de recyclage, telle remise en cause de contrat de concession. "Allons-y, leurs poches sont vastes". Pas tant que ça, finalement.

Mon propos n’est pas de refaire l’histoire d’Alcatel, des erreurs de tel ou tel. Sans doute d’ailleurs la vente à Nokia était-elle le meilleur deal que pouvait trouver l’entreprise. Mais ne pourrait-on pas réfléchir à un moment à ce que nous apportent ces grands groupes, juste avant qu’ils s’en aillent ?

Carlos Ghosn construit un groupe automobile mondial qui est en train de rattraper les quatre géants, seule condition au maintien d’une base de production en France. Qui le félicite? Total engage une délicate restructuration de sa filière raffinage, seule condition au maintien de sa profitabilité. Qui en dit du bien? Orange transforme son modèle économique lesté de 100.000 salariés quand les concurrents en ont dix fois moins. Qui le soutient? Carrefour retrouve toute sa place en France, parce qu’on est fort d’abord sur son marché domestique. Qui s'en réjouit? 

Pas les responsables politiques qui sont en train d’inventer une nouvelle norme, unique au monde, pour les invendus alimentaires. Et vous voulez que l’on rejoue la scène "rente indue" sur les autoroutes de Vinci et d’Eiffage? A qui le tour? Je laisse de côté les banques: dire qu’elles n’ont rien coûté à l’Etat, que la France est le seul pays d’Europe où l’offre de crédit n’a jamais baissé, mais qu’elles deviennent sérieusement fragilisées par une masse de taxes invraisemblables, dire cela est totalement inaudible. Sauf qu’elles le sont, fragilisées.

"Ah oui mais y a Blablacar ", et la french Tech, et nos start up! Formidable. J’en peux plus des start up, je l’ai écrit il y a 18 mois, je ne change pas une ligne. Je suis peinard. Personne ne les met à la une comme moi, personne n’en assure la promotion comme je le fais. Donc j’ai le droit d’affirmer que la façon dont les responsables politiques en font l’alpha et l’omega de la croissance est un leurre doublé d’un mensonge.

Une start up détruit de la richesse, elle n’en crée pas. C’est bien l’entreprise structurée, profitable, le levier de croissance. Frédéric Mazzella le formidable patron de Blablacar le sait comme personne. Mais combien de temps va-t-on le laisser tranquille? Dans combien de temps le conseil de Paris va-t-il nous pondre une taxe sur le "co-voiturage assuré par les grands groupes". On nous dira que c’est pour la croissance de l’économie de quartier, ou autre concept fumeux inventé pour la circonstance. Parce que les "profits" de Blablacar seront alors considérés comme "une insulte en période de crise".

La France est en train de se réconcilier avec l’entreprise nous dit-on. La moitié des gamins de notre pays veulent être entrepreneur, il faut d’urgence maintenant se réconcilier avec le patron, le grand, le gros, celui qui écrase et paye en retard, celui qui applique les règles du business les plus impitoyables, parce qu’à la guerre on est quand même mieux dans un croiseur que dans une barcasse et que le monde économique n’est pas une partie de pique-nique.

Stéphane Soumier