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Disney vs. Netflix, les derniers seront peut-être les premiers

Netflix revendique 150 millions d'abonnés dans le monde.

Netflix revendique 150 millions d'abonnés dans le monde. - Netflix

Disney, qui vient de publier des résultats décevants, veut affronter désormais Netflix sur son propre terrain. Le géant hollywoodien, qui lorgne sur un marché en pleine expansion, lancera son propre service de streaming à l’automne. Et derrière Disney, d’autres attendent en embuscade.

Hannah Baker, Taystee Jefferson et le Demogorgon règnent sur le monde du streaming. Au pied du trône, Captain America, Marge Simpson et les stormtroopers de l'Empire galactique s’agitent et convoitent la place. Face au mastodonte Netflix, Disney promet une entrée fracassante à l’automne. La maison-mère de Mickey a dévoilé des résultats décevants au troisième trimestre, après l'intégration très coûteuse du groupe Fox, mais compte sur sa plateforme de streaming, Disney+, pour repartir de plus belle. Elle sera lancée le 12 novembre aux Etats-Unis avant d’être progressivement étendue aux autres régions du globe. Dans le viseur : entre 60 et 90 millions d'abonnés dans le monde en 2024.

Pour s’imposer sur un marché en pleine ascension, Disney peut compter sur un catalogue « qu'aucune autre entreprise technologique ou de contenus ne peut concurrencer », assurait en avril le patron de la Walt Disney Company, Bob Iger, en présentant sa nouvelle offre aux investisseurs. La firme de Burbank vient en effet de boucler le rachat d'une bonne partie de 21st Century Fox, après avoir acquis les studios Fox et d’autres actifs de Rupert Murdoch, dont la chaîne de télévision National Geographic. S’y ajoutent Pixar et les très rentables franchises Marvel et « Star Wars » mais aussi, évidemment, les grands classiques qui ont construit le géant californien.

Blanche-Neige fera-t-elle le poids face à la prolifération de séries « made in Netflix » ? Disney veut frapper vite, et fort. Au prix de 6,99 dollars par mois, la plateforme de streaming sera bien moins chère que celle de son concurrent, dont les offres démarrent à 8,99 dollars par mois. Bob Iger a promis, par ailleurs, plus de vingt-cinq séries « faites maison » et plus de dix films originaux pour sa première année. Les univers de Star Wars, des super-héros Marvel ou des jouets de Toy Story auront bientôt leurs propres séries sur Disney+. Somme toute, plus de 7.000 épisodes de séries et 500 films seront sur les rangs au lancement de la plateforme.

La fin de la télévision « à l’ancienne » ?

Disney n’est pas seul. L’explosion du marché du streaming attise tous les espoirs outre-Atlantique. Les acteurs traditionnels, dont le modèle repose sur les bouquets payants et les chaînes historiques, sont contraints de se convertir au streaming. Au moment où les studios hollywoodiens, qui vendaient jusqu'ici des droits de diffusion aux plateformes, et les grandes firmes californiennes veulent aussi leur part du gâteau. Même l’ultraleader de l'hébergement gratuit de vidéos, YouTube, développe en toute discrétion ses propres séries payantes.

Amazon, via Prime Video, s’est lancé à l’assaut du monde en 2016. Le groupe de Jeff Bezos revendique plus de 100 millions d’utilisateurs pour son service Prime – un chiffre qui ne différencie néanmoins pas ceux qui se sont abonnés pour le streaming de ceux qui ne s’intéressent qu’à la livraison gratuite. Apple a annoncé sa propre plateforme Apple TV+, tandis que WarnerMedia, ex-Time Warner racheté par l'opérateur télécom AT&T, s'appuyer sur les succès de l’emblématique HBO avec le lancement de HBO Max au printemps 2020, promettant 10.000 heures de programme sur la ligne de départ. NBCUniversal, enfin, se lancerait aussi dans l’aventure l’année prochaine.

Une réponse à un changement en profondeur des habitudes télévisuelles : délaissant la télévision linéaire, les consommateurs deviennent « accros » au streaming. « Si le live et le téléviseur restent rois, les contenus TV se consomment aussi à la carte », observait en avril dernier une étude Eurodata, citant l’exemple de la série britannique « Killing Eve » diffusée sur la BBC. « Les chiffres officiels du marché […] montrent une lente érosion de l’audience épisode par épisode. Mais lorsqu’on additionne l’audience prédiffusion, l’audience du replay et l’audience des écrans internet, la réalité est toute autre : le programme gagne des téléspectateurs au fil des épisodes. Ainsi, 75% de l’audience de la série provient de ces nouveaux usages non linéaires », notait la filiale de Médiamétrie.

Réponse européenne

De notre côté de l’Atlantique, la télévision européenne se mobilise pour répondre aux attentes des consommateurs avant de se faire dévorer par les ogres américains. Contraignant aux « unions sacrées » entre service public et chaînes privées : la BBC et ITV ont signé à la mi-juillet un accord pour mettre en œuvre leur plateforme commune BritBox, tandis que France Télévisions, TF1 et M6 ont vu leur projet « Salto » autorisé par l'Autorité de la concurrence. « Nous sommes trop petits, même si nous sommes les plus grands dans notre pays », remarquait la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, lors du salon cannois MIPTV. « Je ne pense pas qu'on va se battre contre Netflix, mais je pense qu'il y a de la place pour un acteur local dans la [vidéo à la demande] », soulignait-t-elle.

Pionnier de la télévision payante en France, Canal+ a été dépassé par Netflix en nombre d’abonnés. Mais assure que son nouveau service « Canal Séries », qui cumule créations originales et séries internationales, n’est pas une réplique à son rival américain, mais une offre complémentaire. Son patron Maxime Saada prédisait en avril un raz-de-marée d'offres de plus en plus spécialisées. « On va se retrouver avec 50 ou 100 simili-Netflix, qui se voudront le Netflix de ceci ou de cela [...] et le consommateur se retrouvera noyé dans un océan d'offres à 5 ou 10 euros [par mois]. Mais il ne pourra pas s'abonner à 50 ou 100 services », relevait-t-il. Selon certaines estimations, plus de 300 offres de streaming cohabiteraient aux Etats-Unis.

Avec plus de 150 millions d’abonnés dans le monde, Netflix est bien accroché à sa couronne. En Europe, la firme de Los Gatos représente 52% du chiffre d’affaires de la vidéo à la demande, loin devant Amazon (21%), Now TV de Sky (4%) et HBO (3%). Toutes les autres services européens ne pèsent qu’un sixième du marché. Sans oublier que l’argent reste le nerf de la guerre : les trois principales plateformes SVOD américaines – Netflix, Amazon et Hulu – ont investi près de 20 milliards de dollars en 2018 pour produire des contenus, dont 12 milliards pour Netflix à lui seul. Quand on sait 700 millions de ménages, sans compter la Chine, paient pour des abonnements télévisuels, le gâteau est appétissant.

Un milliard de dollars

Disney devrait mettre un milliard de dollars sur la table pour sa première année. Bien moins que son futur rival, mais il s’engage sur le chemin avec une offre pléthorique sur le dos. Cet été, dans les salles de cinéma, il a réduit en charpie ses rivaux avec la nouvelle version du Roi Lion, après avoir écrasé la concurrence avec le dernier volet des Avengers – avant de réitérer ses succès sur sa plateforme ? Le groupe retirera progressivement son catalogue des services concurrents au profit de Disney+, et sera certainement imité par les autres studios hollywoodiens. Obligeant Netflix et ses pairs à produire encore plus de contenus originaux.

Jérémy BRUNO