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Enquête: les dérives du chantier de la Maison de la radio

Radio France accumule les difficultés avec ce chantier titanesque

Radio France accumule les difficultés avec ce chantier titanesque - -

Le chantier titanesque de la Maison de la radio prend du retard. Et la facture s'alourdit pour tutoyer désormais un demi-milliard d'euros, soit deux fois plus que le premier budget esquissé en 2004.

En 2003, le préfet de police avait estimé que la Maison de radio ne respectait pas les nouvelles normes anti-incendie. Les études avaient montré que la tour centrale brûlerait en 11 à 40 minutes... Il fut alors décidé de rénover la maison ronde. Le projet fut conçu sous la présidence de Jean-Paul Cluzel (2004-2009). Le chantier, qui démarra en 2009 sous la présidence de Jean-Luc Hees, doit s'achèver fin 2016.

Mais cette date sera-t-elle bien tenue? Elle a déjà été repoussée de février à août, puis à décembre 2016. Et encore, "nous avons réussi à réduire notre retard de deux mois", note Nadim Callabe, directeur général adjoint de Radio France chargé du chantier.

Surtout, le coût du chantier s'alourdit: entre 2010 et 2012, l'addition a encore grimpé de 22 millions d'euros (cf. encadré). "Le risque d'un dépassement important du budget initial est croissant", estimait le ministère de la Culture il y a un an.

Indemnités versées aux entreprises du chantier

Explication: au fur et à mesure du chantier, des complexités inattendues ont été découvertes. Certes, de l'argent (19,7 millions d'euros) avait été mis de côté pour ce genre d'imprévus -les aléas, dans le jargon du BTP. Mais cet argent a été dépensé plus vite que prévu, et il ne restait plus rien fin 2012. Une nouvelle enveloppe pour aléas de 12,1 millions d'euros a donc été constituée.

Mais le surcoût est essentiellement dû aux retards, qui font mécaniquement monter l'addition. En effet, ces délais impliquent de louer plus longtemps des locaux provisoires, essentiellement ceux de France Inter avenue du général Mangin. Coût: 6 millions d'euros supplémentaires...

Ces retards impliquent aussi de faire patienter les entreprises chargées du chantier, et donc de leur verser des indemnités, ce qui a causé en 2012 une perte de 3,8 millions d'euros. "Mais toutes ces divergences ont été réglées à l'amiable, et aucun procès n'est en cours avec les entreprises du chantier", assure Nadim Callabe.

Définition insuffisante au départ

Nadim Callabe avance plusieurs explications à ces retards: "d'abord, nous avons subi des intempéries. Ensuite, RFI a quitté la Maison ronde pour rejoindre France 24 à Issy-les-Moulineaux plus tard que prévu. Enfin, les prestations des studios et de l'auditorium ont été revues. Par exemple, il a été décidé d'introduire des caméras vidéo dans tous les studios".

Mais, selon un intervenant du chantier, "la principale difficulté rencontrée est que le chantier n'avait pas été défini au départ de manière assez précise par Radio France. Le chantier a donc été modifié à de très nombreuses reprises alors qu'il avait déjà démarré".

Changements en cours de route

Radio France a aussi changé en cours de route trois intervenants-clés du chantier, remplacés par de nouveaux venus qui ne connaissaient pas le projet, et qui ont donc forcément pris du temps pour s'y plonger.

D'abord, en 2011, le contrat avec le bureau d'études pilotant le chantier a été résilié, et un nouveau bureau d'études a été sélectionné.
Puis en 2013, un nouveau maître d'oeuvre a été désigné pour la seconde moitié du chantier. Cela "s'avérait indispensable au regard de l'évolution de l'opération et des difficultés rencontrées depuis deux ans", indiquent les comptes de Radio France.
Et entretemps, l'homme chargé du dossier à Radio France, Christian Mourougane, est parti en 2012 pour être remplacé par Nadim Callabe.

Interrogé, ce dernier explique que ces prestataires ont été changés à cause "d’obligations juridiques vis-à-vis des règles de la commande publique auxquelles Radio France est soumise".

De son côté, le maître d'oeuvre initial, Architecture Studio, indique qu'il "reste toujours l’architecte de conception de l’ensemble du projet et le garant de sa cohérence globale".

Non respect des règles de sécurité

Paradoxalement, d'autres déboires ont fait rentrer de l'argent dans les caisses. En effet, Radio France a fait payer des pénalités (un demi-million d'euros au total) à des entreprises du chantier qui n'avaient pas respecté les règles d'hygiène et de sécurité. "Concrètement, il s'agissait de l’équipement des ouvriers, de la protection du bâtiment...", explique Nadim Callabe.

Toutes ces difficultés ont conduit Radio France à mener un audit complet du chantier en 2012. Cet audit aurait été assez critique, mais Radio France refuse de le communiquer, ou d'en indiquer la teneur, ou même de dire qui l'a mené. Cet audit a été mené "en lien avec l'Etat actionnaire", se borne à répondre Nadim Callabe.

Le titre de l'encadré ici

|||Un chantier à un demi-milliard d'euros Le coût du chantier dépasse maintenant 480 millions d'euros, soit quasiment deux fois plus que la première esquisse du budget effectuée en 2004. Ce coût se décompose en deux parties: -l'investissement: il était chiffré initialement à 172 millions en 2004. Il a été revu à la hausse à 289 millions en 2007, puis à 345 millions en 2010, et enfin à 357 millions en 2012* -le fonctionnement: il était chiffré à 95 millions en 2007, puis a été revu à la hausse à 116 millions en 2010, et enfin à 122 millions en 2012

*estimation basée sur la valeur en euros constants de 340,3 millions d'euros (valeur juin 2008)

Jamal Henni