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Entente supposée sur les droits du foot: la LFP prépare sa contre-attaque

Il y a de multiples indices d'une entente beIN Sports et Canal Plus

Il y a de multiples indices d'une entente beIN Sports et Canal Plus - AFP Pascal Pavani

Le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel va examiner mardi 13 décembre les procédures à engager contre Canal Plus et beIN Sports relatives aux soupçons d'entente sur l'appel d'offres de 2014.

Dans le livre Un président ne devrait pas dire ça (Stock), François Hollande a dit beaucoup de choses qu'il n'aurait pas dû dire. Notamment sur l'appel d'offres pour les droits de la Ligue 1 de football intervenu au printemps 2014. 

Le président de la République y déclare: "On a sauvé Canal, j’ai reçu discrètement [les patrons de la chaîne] Belmer et Méheut. J’ai appelé l’émir du Qatar, je lui ai dit: 'Vous allez venir en France en juin, on vous a défendus par rapport aux Saoudiens, on est à vos côtés, mais là, qu’allez-vous faire sur les Rafale? Il y a aussi l’histoire du foot… Je souhaite qu’il y ait un partage'". 

Entente illicite

En effet, ce que décrit François Hollande est, en droit, une entente illicite destinée à fausser un appel d'offres.

Cela n'a pas échappé à la Ligue de football professionnel (LFP). Le 18 octobre, son directeur général exécutif Didier Quillot a écrit à son conseil d'administration: "J'ai interrogé dès vendredi 14 octobre notre conseil Clifford Chance/Yves Wehrli (l'avocat qui dirige ce grand cabinet international) sur l'analyse de ces faits. J'ai demandé à Clifford Chance de nous présenter son analyse et ses recommandations lorsque le nouveau conseil d'administration sera constitué", selon un email révélé par L'Équipe.

Ces pistes seront présentées lors du prochain conseil d'administration de la LFP, mardi 13 décembre, mais une décision ne sera pas forcément prise dès ce jour-là.

Une amende allant jusqu'à 10% du chiffre d'affaires

Précisément, quatre pistes sont envisagées, qui pourraient même être activées toutes en même temps dans le cadre d'une offensive tous azimuts.

La première piste est une plainte pour entente contre Canal Plus et beIN Sports devant l'Autorité de la concurrence. Si le gendarme de la concurrence parvient à prouver cette entente, alors il pourra infliger en théorie une amende allant jusqu'à 10% du chiffre d'affaires des groupes concernés. Mais cette amende ira dans les poches de l'État, et non de la "victime", à savoir la LFP.

D'autres pistes sont donc envisagées pour réclamer des dommages qui iront dans la poche de la LFP: une plainte contre Canal Plus et beIN devant le tribunal de commerce, et une plainte contre l'État devant le tribunal administratif. Enfin, une dernière piste serait très éventuellement une plainte au pénal, les ententes étant aussi des infractions pénales.

Difficile à prouver

Selon le Canard enchaîné, la LFP estime avoir perdu 100 à 150 millions d'euros dans l'affaire. "On parle de 1,5 milliard d'euros qui auraient été subtilisés aux clubs de foot", a même affirmé le 4 novembre le président de l'OL Jean-Michel Aulas, ajoutant: "Il faut absolument que le Conseil de la concurrence s'auto-saisisse". Mais le gendarme de la concurrence a visiblement décidé de ne pas lancer lui-même cette procédure. Le 15 novembre, la nouvelle présidente de l'Autorité, Isabelle de Silva, a indiqué lors d'un colloque du cabinet NPA: "Il n'y a pas de saisine de l'Autorité à ce stade".

La question est surtout de savoir si ces plaintes pourront aboutir. Car les ententes sont très difficiles à sanctionner, comme l'explique Sylvain Justier, avocat associé au cabinet Magenta: "L'Autorité de la concurrence, pour sanctionner une entente, doit disposer de preuves matérielles de la répartition des marchés qui aurait été convenue. Elle trouve en général ces preuves en effectuant des perquisitions chez les entreprises concernées. Ces perquisitions sont efficaces lorsqu'elles sont réalisées par surprise, ce qui est difficilement concevable dans une affaire ayant fait l'objet d'un tel battage médiatique après la sortie du livre..."

Pléthore d'indices

Reste que, pour l'instant, il n'y a aucune preuve matérielle, hormis les déclarations de François Hollande. Toutefois, il y a pléthore d'indices allant dans le sens d'une entente. D'abord, dans les offres remises à la LFP. Sur les lots 1 et 2, beIN Sports a été loin derrière Canal, proposant respectivement 33 et 35 millions d'euros de moins. Symétriquement, sur le lot 3, Canal Plus proposera deux fois moins que beIN Sports. "En résumé, Canal Plus et beIN Sports ne se sont pas agressés mutuellement, expliquait-on à la LFP il y a deux ans. Par un étrange parallélisme, chacun a proposé 20% de plus qu'actuellement. Au final, l'argent finalement proposé par beIN Sports a été clairement décevant par rapport à ce que les Qataris nous avaient fait miroiter auparavant. Avant l'appel d'offres, beIN Sports avait assuré à la LFP vouloir en découdre avec Canal Plus pour tout rafler, ce qui avait conduit la LFP à lancer l'appel d'offres en avance".

Selon des sources citées par BFM Business en 2014, Vincent Bolloré (premier actionnaire de Vivendi, propriétaire de Canal Plus) et Nicolas Sarkozy (qui aurait servi de messager du Qatar) se seraient même vus juste avant le dépôt des offres pour discuter du sujet (interrogés à l'époque, les porte-paroles de Bolloré et de Nicolas Sarkozy n'avaient pas répondu). Courant 2013, le directeur général de Canal Plus, Rodolphe Belmer, avait aussi effectué un voyage secret à Doha pour aller discuter avec les Qataris.

Non-agression mutuelle

Cette non-agression s'est confirmée lors des appels d'offres ultérieurs. Début 2015, lors de l'appel d'offres pour le Top 14 de rugby, beIN Sports a proposé moins que le prix minimal demandé (prix de réserve), et a donc été logiquement battu par Canal Plus. Fin 2015, lors de la compétition pour le championnat de football anglais, beIN Sports aurait proposé moins d'argent que Canal Plus, voire, selon L'Équipe, n'aurait pas déposé d'offre du tout.

En outre, les deux rivaux, qui ne cessaient de s'attaquer devant les tribunaux, ont cessé de se faire des procès. Notamment Canal Plus, qui avait attaqué beIN Sports devant le tribunal de commerce, n'a pas fait appel après avoir perdu.

Surtout, les deux concurrents se sont mis à lancer des offres commerciales communes fin 2015. Canal Plus a même voulu commercialiser en exclusivité la chaîne qatarie, mais ce projet a été retoqué par le gendarme de la concurrence. 

Interrogé sur le sujet, le directeur général de Canal Plus Maxime Saada avait répondu le 16 novembre lors d'un déjeuner de l'Association des journalistes média: "Cet appel d'offres nous coûte quand même 150 millions d'euros de plus qu'avant. Ce n'est donc pas une entente très efficace... Et Canal a ensuite perdu d'autres droits au profit de beIN". 

Interrogée, la LFP s'est refusée à tout commentaire.

Jamal Henni