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Equation économique tendue pour les nouvelles chaînes TNT

TF1 accuse TDF de violer la régulation imposée sur les émetteurs non réplicables, comme ici le mont Ventoux

TF1 accuse TDF de violer la régulation imposée sur les émetteurs non réplicables, comme ici le mont Ventoux - -

Six nouvelles chaînes seront lancées le 12 décembre. Mais leur coût de diffusion sera deux fois plus élevé que celui des autres chaînes TNT, et tutoiera leur coût de programmes.

Le 12 décembre, six nouvelles chaînes verront le jour sur la télévision numérique terreste (TNT). Mais elles auront d'emblée à faire face à un dilemne. Pour être regardées le plus largement possible, leur intérêt est de couvrir rapidement le territoire. Mais plus large sera leur diffusion, plus la note sera salée...

D'autant que ces six chaînes devront être diffusées en haute définition, ce qui s'avère être un cadeau empoisonné. En effet, une diffusion en HD coûte deux fois plus cher qu'une diffusion en définition standard: 14 millions d'euros par an au lieu de 7, selon le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel). Résultat: "le coût de diffusion devrait représenter près du tiers des charges d’exploitation en 2014 et 2015", écrit le CSA.

Et pour certaines chaînes, ce sera même le principal poste de dépenses. "Nous allons dépenser autant d’argent pour fabriquer nos programmes que pour les diffuser, s'exclame Pascal Houzelot, président de Numéro 23 (ex-TVous, la télédiversité). Il est aberrant de faire une chaîne avec de tels coûts de diffusion. Chaque euro que nous pourrons économiser sur la diffusion sera autant de gagné pour les programmes".

Les marges plantureuses de TDF

Sur le banc des accusés: TDF, qui détient la quasi-totalité du marché de la diffusion en France. Certes, les tarifs de l'ex-monopole sont désormais régulés par le gendarme des télécoms, l'Arcep. En particulier, l'ex-TéléDiffusion de France doit, depuis 2009, pratiquer des prix coûtants là où la concurrence est impossible.

Mais il est accusé de ne pas respecter cette obligation. Ainsi, Gilles Maugars, directeur général adjoint de TF1 chargé des technologies, accuse TDF de "violer la régulation imposée par l'Arcep" en estimant que TDF réalise "plus de 80% de marge". En effet, "TDF facture en moyenne un million d’euros par an et par émetteur principal. Historiquement, nous étions incapables de challenger ces tarifs. Mais, depuis que nous nous sommes mis à construire nos propres pylônes, nous savons désormais combien cela coûte réellement: à peu près 2 millions d’euros. Avec un pylône qui dure plus de 10 ans, cela fait moins de 200.000 euros par an en moyenne... Visiblement, TDF gonfle donc ses coûts en imputant dans ses prix ses frais généraux, ses coûts de personnel…"

Certes, TDF doit prochainement publier de nouveaux tarifs, qui devraient théoriquement baisser, car un même pylône permettra désormais de diffuser six chaînes de plus. Mais Gilles Maugars, qui dirige trois des huit réseaux de diffusion TNT (multiplex), prévient qu'il "envisage de contester les nouveaux tarifs si la baisse de prix ne correspond pas à cette réalité des coûts".

Interrogé, TDF s'offusque, et "conteste formellement ces affirmations mensongères, et s’étonne de l’agressivité soudaine" de TF1, dont la facture auprès de TDF "a été divisée par deux depuis 2004, alors que le nombre de chaînes diffusées est passé de 1 à 7". Sur le fond, le diffuseur répond que ses tarifs sont "contrôlés par l'Arcep, et désormais fixés à partir d’un modèle développé par l’Arcep".

Un discret geste du CSA

La situation des nouvelles chaînes aurait pu être encore pire. En effet, le CSA voulait initalement leur donner seulement 22 mois pour couvrir 97% de la population. Cela "semble nécessaire pour permettre à ces nouvelles chaînes d’accroître au plus vite leurs recettes publicitaires. Il permettra également au plus large public d'en bénéficier rapidement", estimait le CSA en juin.

Mais ce calendrier a été critiqué à la fois par les chaînes, les pouvoirs publics, et les concurrents de TDF. En effet, ces petits concurrents comme Towercast (filiale de NRJ), Itas Tim ou Onecast (filiale de TF1), souhaitent, eux aussi, diffuser les six nouvelles chaînes. Pour cela, il leur faut constuire à chaque fois un autre pylône que celui de TDF, ce qui prend six mois à deux ans. Donc plus le calendrier de déploiement est serré, et plus les chaînes sont prisonnières d'un seul fournisseur: TDF.

Comme l'a écrit l'Arcep, "certaines nouvelles chaînes ont souligné que [ce calendrier] représentait un poids et un risque importants pour leur modèle économique. L'Arcep estime important que soit finalement retenu un rythme de déploiement mesuré, afin que les diffuseurs alternatifs soient en mesure de produire des infrastructures concurrentes".

De même, l'Autorité de la concurrence "partage les craintes exprimées au sujet de la compatibilité du calendrier envisagé par le CSA avec le développement d’une concurrence en infrastructures"

Même son de cloche chez Towercast, qui expliquait qu'un calendrier trop serré conduirait les nouvelles chaînes à dépenser d'emblée beaucoup pour leur diffusion, avec en face des rentrées publicitaires "en progression probablement plus lente". La filiale de NRJ appelait "à la plus grande prudence" concernant ce calendrier, "au risque sinon de se retrouver avec des chaînes qui rendent leurs fréquences TNT faute de trouver une équation économique viable". 

Finalement, le CSA a discrètement fait un geste le mois dernier: il a accordé huit mois de plus aux chaînes pour couvrir le pays, soit au total 30 mois au lieu de 22...

Jamal Henni