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Et si les entretiens d'embauches trop poussés ne servaient à rien?

Il ne faut parfois pas se fier aux apparences

Il ne faut parfois pas se fier aux apparences - Ted Murphy - Flickr -CC

Pour le prix Nobel d'économie 2002, Daniel Kahneman, les entretiens d'embauche ne permettent pas de déceler le potentiel réel d'une future recrue. Selon lui, la performance d'un salarié est, par définition, imprévisible.

Un entretien d'embauche s'apparente parfois à une véritable séance de torture. La recruteur peut poser un nombre incroyable de questions à la future recrue pour cerner son potentiel. Avec, par exemple, des questions "pièges" comme donner le nombre de grattes-ciels à Manhattan ou, plus insolite, deviner qui de Spider-Man ou de Batman l'emporterait dans un combat.

Ces séances de questions-réponses, éprouvantes aussi bien pour l'interviewé que pour l'intervieweur, auraient en fait une efficacité franchement limitée. C'est la thèse de Daniel Kahneman, prix Nobel d'Économie 2002. Pour rappel, ce chercheur a un particularité par rapport aux autres nobélisés de sa discipline: il n'est pas économiste mais psychologue, spécialisé dans la psychologie cognitive. C'est lui qui, au milieu des années 2000, a rendu populaire les théories sur l'économie comportementale.

Le potentiel est imprévisible

En avril dernier, Daniel Kahneman, invité d'une conférence à l'Université de Wharton a expliqué à ses auditeurs que même les entretiens d'embauche les plus sophistiqués ne pouvaient cerner complètement le potentiel d'une personne, rapporte Business Insider. Et de citer Google qui a développé des "entretiens structurés" c'est-à-dire des questions types mettant l'interviewé en situation réelle et permettant d'évaluer ses capacités dans différents domaines (créativité, organisation, leadership, etc…).

"Je ne pense pas que les psychologues aient grand chose à apprendre à Google", admet-il. Mais pour autant, la complexité de ces entretiens n'a pas grand intérêt. "Le problème n'est pas que nous sommes mauvais lorsqu'il s'agit de prévoir le potentiel d'une recrue. Le problème, c'est plutôt que la performance est imprévisible",prévient-il.

"Il y a des relations chaotiques entre les caractéristiques d'un individu et les événements qui surviennent dans son travail, qui change cette personne ainsi que la façon dont elle est perçue et traitée par d'autres personnes", ajoute-t-il.

La "pauvreté de nos choix"

Plus globalement, Kahneman considère que la qualité des décisions humaines, y compris lors d'une décision d'embauche, est "exécrable". Pour différentes raisons. La première est que l'être humain n'est pas habitué à tenir un raisonnement qui soit un tant soit peu complexe.

Kahneman fait souvent référence à cet exemple parlant. "Une batte de base-ball et une balle de base-ball coûtent ensemble 1,10 dollar. La batte coûte 1 dollar de plus que la balle. Combien coûte la balle?"

Généralement la première réponse qui vient à l'esprit est 10 cents. Elle semble juste. Et pourtant elle est fausse (la bonne réponse est 5 cents). Mais comme elle semble logique et plausible, les individus ont tendance à s'y fier. C'est ainsi que la moitié des étudiants d'Harvard se sont trompés. "Les gens ne sont pas habitués à réfléchir profondément et se contentent souvent de se fier à un jugement hâtif", développe Kahneman.

Les algorithmes plus forts que nous

Un autre problème pour le psychologue est que le cerveau humain n'est pas capable d'assimiler un grand nombre de données et, qu'en ce sens, les algorithmes nous sont largement supérieurs pour prendre une décision rationnelle.

Kahneman donne l'exemple suivant. Un jour, en tant que consultant, il mène une expérience au sein d'une grande banque sur les décisions de prêt, qui peuvent impliquer des centaines de milliers de dollars. Il demande à plusieurs chefs d'équipes quel serait, selon eux, en pourcentage, l'écart entre leur décision (en termes de montant) et celle d'un autre collègue, s'ils traitaient le même dossier. Les répondants ont, en grande majorité, donné une fourchette de 5 à 10% Mais Kahneman s'est rendu compte que la vérité se situe entre 40 et 60%! Et ce aussi bien pour les novices que pour les banquiers chevronnés.

J.M.