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État des lieux de l’innovation bas carbone en France

L'innovation bas carbone en France. Entre spécificités nationales et enjeux mondiaux.

L'innovation bas carbone en France. Entre spécificités nationales et enjeux mondiaux. - ©Pixabay

Marc Baudry* dirige le pôle innovation au sein de la Chaire Économie du Climat (CEC). Entre spécificités locales et enjeux internationaux, ce professeur universitaire décrit l’innovation de notre pays comme tiraillée et finalement située dans une petite -trop petite ?- moyenne européenne. Les moyens de redynamiser celle-ci sont pourtant à portée de main…

Le tout récent classement Thomson Reuters indique que la France est un pays innovant, avec dix entreprises parmi les cent les plus innovantes du monde. Partagez-vous cette analyse ?

Il laisse en effet entendre que la France serait mieux classée que l’Allemagne, par exemple. Mais cette étude utilise, sans le cacher du reste, un artefact statistique : l’effet de masse. Oui, la France a quelques gros champions industriels qui ont de gros moyens et déposent des brevets. Mais on ne peut pas résumer le dynamisme de l’innovation nationale à ces quelques grandes entreprises. L’Allemagne a beaucoup plus de PME innovantes que la France. Et si on regarde les données macroéconomiques, nos voisins outre-Rhin arrivent devant la France en terme de dépenses de R&D et de dépôts de brevets. C’est même le premier pays européen en ce domaine !

Si l’on pondère encore plus cette analyse en tenant compte de la taille des pays, en terme économique (PIB), on constate que la France est dans une bonne moyenne de pays européens, mais largement dépassée par la Suisse ou les pays scandinaves, qui sont les vrais pays innovants en Europe.

Pour bien comprendre l’innovation il faut relativiser par rapport à la taille des pays et celle des entreprises. Quand on fait ca, on voit qu’on n’est pas dans le TOP5 !

Le climat et son corollaire la transition énergétique sont-ils pourvoyeurs d’innovation ?

Il faut aussi encore une fois se méfier des statistiques. Des études issues de l’OCDE ou de l’Office Européen des Brevets, tendent à montrer qu’il y a un fort développement des dépôts et octrois de brevets sur les technologies bas carbone. L’Office Mondial de la Propriété Intellectuelle a même proposé une classification «verte» des brevets. Il convient cependant de comparer cette tendance avec l’évolution des brevets dans d’autres domaines. Par exemple, dans le forage, le dépôt progresse dans les mêmes proportions. Il y a une hausse globale des dépôts de brevets dans tous les domaines. Il faut systématiquement ramener ces données à une référence. Et quand on procède ainsi, les choses ne sont pas si évidentes. [ndlr : voir les graphiques en fin d'article]

Dans l’évolution globale des dépôts de brevets, il faut noter que ceux-ci servent souvent à bloquer les concurrents et gêner leur développement, sans utilisation réelle, autre que stratégique. C’est une utilisation perverse des brevets, car ils restent dans un tiroir et gardent une valeur immatérielle. Sans conduire à développer de nouvelles technologies.

Sur le site de la Chaire économie & Climat, vous précisez que l’innovation «n’est plus la cause, mais recherchée pour réussir la transition». C’est-à-dire ?

Traditionnellement, l’innovation sert aux entreprises pour créer de nouveaux produits et conquérir de nouveaux marchés. L’innovation va provoquer la mutation, qui n’a pas été pensée ou voulue d’avance.

Dans le cadre de la transition énergétique, il y a d’abord un objectif politique qui met en place des mécanismes pour orienter l‘innovation. Ceci est très rare dans les économies de marché. On a une idée des mutations à produire et on essaye de les favoriser. Le dernier exemple comparable pourrait être celui de l’industrie du nucléaire. Pas tant du point de vue des brevets, mais en terme d’orientation de la recherche -publique voire militaire- et de volonté explicite des pouvoirs publics de développer une technologie.

La France offre-t-elle les meilleures conditions pour l’innovation ?

Le cas de la France est assez ambivalent. Nous constatons que nos dépenses en R&D et nos investissements dans la recherche bas carbone sont loin derrière l’Allemagne, le Royaume Uni et même l’Espagne ou les pays scandinaves. Ils font plus en termes relatifs.

Pourtant, notre pays met en place des politiques. Mais notre problème -et notre singularité-, c’est la place du nucléaire. Un vrai dilemme, car c’est une énergie décarbonée, qui permet un coût de l’électricité relativement faible. Ce qui a tué dans l’œuf les initiatives en matière d’énergies renouvelables, car elles devaient avoir une rentabilité très élevée. Les tarifs garantis ont un peu corrigé ce problème, mais l’Allemagne, peu nucléarisée, a été, encore une fois, plus vite que nous.

Notons cependant que, depuis dix ans, le coût du nucléaire remonte. Notamment pour des raisons de sécurité post-Fukushima. Mécaniquement, cela rebat les cartes de la rentabilité des autres sources d’énergies.

Quid du financement ?

Nous avons connu des moyens comme le Crédit Impôt Recherche qui a eu un effet positif sur les dépôts de brevets. On pourrait imaginer, des CIR additionnels basés sur l’innovation bas carbone, à condition de bien définir ce qu’elle est. Attention aux effets d’opportunisme !

Le vrai sujet est celui du prix du CO2 et les déboires du marché du carbone ne vont pas dans le bon sens ! S’il y avait un prix plus élevé de la tonne de carbone, pour les producteurs d’électricité, les sources fossiles perdraient en rentabilité. Idem pour les technologies de captation et stockage carbone qui deviendraient un filon intéressant du point de vue de l’innovation. Il faut envoyer le bon signal prix. 5 € la tonne, ce n’est pas un bon signal.

Donc, d’un côté, un contexte national nucléarisé et de l’autre, un prix du CO2 trop bas. De quoi être optimiste ?

Je ne suis pas si optimiste. Nous avons besoin de signaux beaucoup plus positifs. D’autant plus que nous avons les moyens de faire. En Europe, le marché du carbone existe. Il y a une offre que quotas beaucoup trop importante. En la resserrant, on ferait naturellement monter le prix du CO2, ce qui créerait un problème de compétitivité pour les entreprises, sauf si le marché des quotas se réorientait vers une attribution par enchères, source de fonds pour les pouvoirs publics. Ces derniers pourraient être utilisés pour baisser la fiscalité sur le travail. Donc redonner de la compétitivité.

Nous avons les moyens. Il faut la volonté. Tous les économistes sont d’accord pour dire qu’il faut envoyer les bons signes pour orienter l’économie. D’autant plus que les mastodontes que sont la Chine et les USA, ont, eux aussi, avec des raisons et des mécaniques très différentes, les moyens de faire bouger le marché, par exemple, en décrétant des normes environnementales drastiques.

Cette problématique est mondiale par nature. Autant s’y préparer.

* Marc Baudry est Professeur des Universités à l’Université de Paris Ouest Nanterre la Défense. Ses travaux portent sur l’économie de l’innovation et la propriété intellectuelle, souvent en relation avec les questions d’environnement et de ressources naturelles. Ses recherches ont été publiées dans diverses revues académiques nationales et internationales, il a également contribué à des ouvrages collectifs sur l’économie des brevets. Il exerce en outre ses compétences en tant que responsable du «Pôle Innovation» à la Chaire Économie du Climat où il encadre plusieurs thèses, ainsi qu’en répondant à des sollicitations des pouvoirs publics pour contribuer à des rapports sur l’innovation.

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Sur ce premier graphique, on constate clairement que les grandes économies dominent par un effet de masse

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Si on rapporte à la taille du pays (PIB), c’est le Danemark qui sort du lot (le leader international en éoliennes, Vestas, est un pure player Danois). On constate également la petite performance de la France, des USA et du Royaume-Uni.

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En termes de qualité moyenne, Danemark Allemagne et États-Unis dominent. La Chine n’est pas si mal classée en termes de qualité, au dessus de l’Espagne ou de la France. C’est d’autant plus marquant que la qualité moyenne s’est nettement améliorée sur les dernières années.

La France ne ressort jamais du lot, voire est plutôt dans le peloton de queue. C’est malheureusement le cas pour nombre de technologies bas-carbone (photovoltaïque, solaire thermique, géothermie, énergie des mers).

Retrouvez notre dossier spécial concernant les moyens de la transition énergétique :

Les 5 conditions qui permettront le succès de la transition énergétique en France

Comparaison des dépôts de brevets en fonction de la nationalité et du PIB

Les graphiques ci-dessous, principalement basés sur les dépôts de brevet relatifs à la technologie éolienne, permettent de pondérer ceux-ci avec le PIB des pays dont l'inventeur est issu. Il s’agit, en outre, uniquement de brevets prioritaires, c’est-à-dire qu’aucun brevet ne pré-existe qui protègerait la même invention (on évite ainsi les doubles comptages d’une même invention brevetée dans plusieurs pays).

Yves Cappelaire