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Exclu BFM Business: la stratégie d'Aurélie Filippetti face à Netflix

La ministre de la Culture veut que tout la filière présente un front uni face à l'Américain

La ministre de la Culture veut que tout la filière présente un front uni face à l'Américain - Crédits photo : nom de l'auteur / SOURCE

La ministre de la Culture a reçu la filière vendredi 21 mars et leur a exposé sa stratégie face à l'arrivée du service américain de vidéo-à-la-demande.

Lundi 24 mars, Aurélie Filippetti visitera le salon du livre, recevra son homologue israélien, assistera à un vernissage puis à un opéra, à en croire son agenda officiel.

Un agenda prolixe sur l'accessoire, mais étrangement muet sur l'essentiel: un rendez-vous avec les représentants de Netflix, qui ne figure pas à l'agenda officiel, mais qui a été révélé par les Echos.

Objectif affiché de la ministre de la Culture: convaincre Netflix de lancer son service français de vidéo-à-la-demande (VoD) depuis la France, et non depuis le Luxembourg.

Aurélie Filippetti a préparé cette rencontre au sommet en convoquant vendredi rue de Valois les représentants de toute la filière: chaînes de TV, producteurs de cinéma et de télévision, services de VoD...

Signe que l'heure est grave, la ministre a même convoqué tous les fournisseurs d'accès internet pour rechercher leur soutien, oubliant pour une fois ses reproches habituels, ou sa volonté de les taxer encore plus...

Union sacrée

Car, face à Netflix, la ministre a dit vendredi souhaiter une approche commune des pouvoirs publics et de toute la filière culturelle. Un souhait qui a fait tousser certains, craignant qu'une telle union sacrée puisse être requalifiée en entente illicite par les gendarmes de la concurrence...

Ensuite, la ministre s'est dite convaincue que Netflix aura besoin de contenus français pour percer en France, et s'est donc demandé si les producteurs avaient intérêt à se précipiter pour céder leurs oeuvres à Netflix. Hélas, aucun producteur ne s'est engagé à ne pas vendre ses droits au Californien...

De manière plus inattendue, Aurélie Filippetti n'a pas dissuadué les fournisseurs d'accès de conclure des accords avec Netflix, y compris si ce dernier émet depuis le Luxembourg. Au contraire, la ministre s'est déclarée favorable à de tels accords.

Certes, cela permettra au Californien de proposer son service sur les box, et par là, d'atteindre un public plus large. Mais cela permettra aussi de négocier des contreparties... Sur ce sujet, aucun opérateur n'a dit être sur le point de signer avec Netflix. Mais aucun opérateur n'a dit non plus refuser par principe de négocier avec lui. En tous cas, la ministre, afin de ménager les susceptibilités, a bien pris soin de préciser que Bercy était aussi concerné par tous les aspects télécoms.

Inciter Netflix à venir

Parallèlement, la rue de Valois étudie aussi des mesures destinées à favoriser les services de VoD immatriculés en France. Objectif: inciter Netflix s'installer en France, ou -à défaut- favoriser ses concurrents franco-français, comme Canal Plus. Le ministère de la culture reprend ainsi le principe du 'donnant donnant' proposé par le rapport de Pierre Lescure: ceux qui respectent la réglementation française ont plus d'obligations, mais aussi des avantages.

Première piste: proposer des films plus frais en VoD. Des négociations sont en cours sur ce point sous l'égide du CNC. Une piste envisagée est que les services de VoD illimités par abonnement proposent des films 2 ans après leur sortie en salles, contre 3 ans aujourd'hui.

Autre proposition du rapport Lescure: les fournisseurs d'accès se verraient obligés de distribuer tout service de VoD qui s'engagerait à acheter plus de films français que le minimum légal. Cette proposition est reprise dans le futur projet de loi sur la création.

Euro-compatible?

Last but not least, le ministère a aussi dans ses cartons une panoplie de mesures financières ou fiscales, mais qui risquent de ne pas aller bien loin, car toutes nécessitent un feu vert -peu probable- de Bruxelles.

Première idée: accorder des subventions aux services de VoD français. Il existe déjà une première aide, mais elle est plafonnée à 200.000 euros sur trois ans par bénéficiaire. Paris planche sur une aide plus importante (d'un budget de 5 millions d'euros par an), mais elle a été refusée par Bruxelles. Paris a donc soumis une nouvelle mouture à la Commission.

Seconde idée: taxer les services VoD étrangers ciblant les internautes français. Une telle mesure a été votée fin 2013, mais reste, là encore, soumise à l'approbation de Bruxelles.

Anti-contournement

Troisième piste: prendre des mesures de rétorsion contre les services de VoD étrangers visant un public français. Là encore, un décret dit "anti-contournement" a d'ores et déjà été publié. Mais "ce dispositif n’a pas trouvé à s’appliquer jusqu’ici, et la complexité de sa mise en œuvre laisse douter qu’il puisse s’appliquer un jour", pointait le rapport Lescure.

En effet, le dispositif prévoit que toute mesure de rétorsion doit être d'abord "validée" par Bruxelles. Las! "La Commission a indiqué à la France qu’elle ne prendrait pas part à ce dispositf", explique le rapport Lescure.

Pire: ce dispositif pourrait même ne pas être euro-compatible. En effet, la directive européenne sur le sujet (appelée SMA dans le jargon du secteur) permet d'instaurer un dispositif anti-contournement uniquement pour les chaînes de télévision, mais pas pour les services de VoD. Résultat: selon le rapport Lescure, la Commission a d'ores et déjà "émis des doutes" sur le dispositif français, première étape avant le lancement d'une possible procédure d'infraction contre Paris...

Evasion fiscale

La dernière piste a été évoquée par Aurélie Filippetti elle-même dans une interview: "la directive SMA va être réouverte, et la France demandera que les règles de régulation s'appliquent désormais au pays de consommation, et non pas au pays du siège". En clair, Paris va demander que les obligations françaises s'appliquent aux services étrangers ciblant les Français.

Problème: cette renégociation ne démarrera qu'en 2015, et durera plusieurs années. Surtout, lors de la négociation précédente, Paris avait déjà fait exactement la même demande, qui avait été rejetée par la Commission et la quasi-totalité des Etats... Toutefois, dans ce nouveau round de négociations, la France pourrait être moins isolée, car de plus en plus d'Etats membres deviennent furieux de l'évasion fiscale pratiquée au sein de l'Union.

Un expert conclut: "juridiquement, la France ne pourra pas faire grand chose si Netflix propose son service français depuis le Luxembourg. iTunes le fait déjà depuis 10 ans sans aucune difficulté juridique, ni aucun problème d'approvisionnement en films français. C'est sans doute pour cela qu'Aurélie Filippetti choisit une approche industrielle, en essayant de fédérer la filière derrière elle..."

Interrogé, le ministère de la culture s’est refusé à tout commentaire.

Jamal Henni