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Exclusif: Orange n'a pas payé d'impôt sur les bénéfices durant 10 ans

L'ex-France Télécom a écopé d'un redressement fiscal record de plus de 2 milliards d'euros

L'ex-France Télécom a écopé d'un redressement fiscal record de plus de 2 milliards d'euros - -

L'ex-France Télécom n'a pas payé d'impôts sur les sociétés en France entre 2000 et 2010 en raison de ses lourdes pertes et d'une opération fiscale contestée.

Depuis plusieurs années, les opérateurs télécoms se plaignent de payer trop d'impôts en France. Leur lobby, la Fédération Française des Télécoms, fustige la "surfiscalité" qu'ils subissent. Parallèlement, la FFT dénonce aussi l'impôt sur les bénéfices microscopique payé en France par les géants de l'internet. Un discours relayé sur toutes les estrades par le président de la FFT, Pierre Louette, par ailleurs directeur général adjoint d'Orange.

Seulement voilà. Pierre Louette ne parle jamais de l'impôt sur les bénéfices payé par Orange en France. Pour une raison simple: l'ex-France Télécom n'a pas payé d'impôt sur les bénéfices des sociétés (IS) pendant 10 ans... précisément de 2000 à 2010. Ceci vaut pour la maison mère du groupe, Orange SA (ex-France Télécom SA), et pour toutes les filiales françaises. Toutes ces sociétés payent leur impôt en commun via le système dit du 'groupe d'intégration fiscale'.

1 à 1,5 milliard économisés par an

Selon ses propres estimations, l'opérateur a ainsi économisé 1 à 1,5 milliard d'euros par an.

Pour obtenir ce résultat, l'opérateur téléphonique a utilisé deux procédés. D'abord, il a enregistré d'importantes pertes, surtout en 2001 et 2002. Or ces pertes peuvent ensuite être déduites de l'impôt sur les bénéfices les années suivantes.

Autre technique: l'opérateur a généré 9 milliards d'euros de pertes fiscales en 2005 en absorbant une filiale baptisée Cogecom. Il s'agissait d'une gigantesque holding qui avait été utilisée pour effectuer moult acquisitions, notamment à l'étranger: Orange, Equant, TPSA...

La valeur de ces acquisitions ayant été revue à la baisse, la valeur de Cogecom avait donc été dépréciée de 11,5 milliards d'euros, générant d'importantes pertes, et donc des déficits fiscaux...

Fin de la récréation

Au total, les déficits fiscaux reportables en France s'élevaient à 24,5 milliards d'euros à fin 2006. "Ces déficits devraient être totalement consommés d'ici fin 2015", indique le groupe.

Toutefois, cette situation idyllique a pris fin en 2011. En effet, cette année-là, le gouvernement Fillon a plafonné l'utilisation des reports déficitaires. Désormais, une entreprise, même si elle possède des déficits reportables, doit quand même payer un impôt minimal. Résultat: l'opérateur a versé par anticipation 322 millions d'euros d'impôts en 2011, puis 319 millions d'euros en 2012, indiquent ses comptes.

Redressement fiscal record

Parallèlement, le fisc a constesté l'opération Cogecom. Précisément, il a estimé que l'ex-France Télécom aurait dû déduire de ses bénéfices les 11,5 milliards d'euros de dépréciations de Cogecom, ce que l'opérateur n'avait pas fait. L'opérateur a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Montreuil, qui lui a donné tort le 4 juillet (le jugement est disponible ici).

L'opérateur vient de faire appel de ce jugement. Mais, cet appel n'étant pas suspensif, il a dû payer au fisc 2,1 milliards d'euros entre fin juillet et septembre -un record pour un redressement fiscal. "Ces deux milliards d'euros, c'est 0,1 point de déficit public [en moins, NDLR] que j'ai apporté en gants blancs sur un plateau d'argent au gouvernement", a ironisé fin juillet le PDG d'Orange Stéphane Richard.

Hélas, l'opérateur n'a pas pu échapper à ce redressement en utilisant ses déficits fiscaux. "Ce redressement fiscal n'est pas imputable sur les déficits fiscaux, car il ne porte pas sur le montant de l'impôt, mais sur la base taxable", explique le groupe.

Civisme fiscal

Interrogé, le groupe a confirmé nos informations, mais a souligné qu'hormis l'impôt sur les bénéfices, il paye de lourds impôts, notamment moult taxes spécifiques aux télécoms. "Au total, les montants versés (y compris la TVA) par l'ex-France Télécom SA et l'ex-Orange France s'élèvent à plus de 4 milliards d’euros pour 2012", indique un porte-parole.

Et, Etat actionnaire oblige, l'opérateur fait en géneral preuve d'un certain civisme fiscal, en payant rubis sur l'ongle copie privée, contribution au CNC..., alors que ses rivaux Free, SFR ou Numéricable multiplient les stratagèmes pour y échapper...

Jamal Henni