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Budget du CNC: accord en vue avec Bruxelles pour faire rentrer Free dans le rang

La ministre de la Culture Aurélie Filippetti et le président du CNC Eric Garandeau se sont battus auprès de Bruxelles

La ministre de la Culture Aurélie Filippetti et le président du CNC Eric Garandeau se sont battus auprès de Bruxelles - -

Un accord paraît proche avec la Commission européenne sur la contribution des opérateurs télécoms au budget du cinéma. Objectif de cette nouvelle taxe: que Free contribue à nouveau au financement du Centre national du cinéma.

Après presque un an de négociations, un accord est en vue entre Paris et Bruxelles concernant la taxe versée par les opérateurs télécoms au CNC (Centre national du cinéma). Sauf surprise, le texte issu de cet accord devrait être intégré dans la loi de finances pour 2013.

Rappelons que cette taxe sur les opérateurs télécoms, instaurée en 2007, est très vite devenue une des principales sources de financement du CNC: en 2010, elle a rapporté 190 millions d'euros, soit un tiers des recettes de l'établissement public.

Le débat avec Bruxelles portait sur l'assiette de cette taxe. Autrement dit, la question était de savoir quels accès internet devaient être pris en compte dans le calcul de la taxe (qui, rappelons-le, n'est pas payée par l'abonné mais par l'opérateur). En 2007, la loi avait décidé que tout forfait triple play comprenant un service de télévision devait s'acquitter de cette taxe. Mais, début 2011, Free a quasiment cessé de payer la taxe, alors qu'il versait auparavant 20 millions d'euros par an. En effet, le trublion de l'internet français a scindé en deux son forfait triple play, avec d'une part l'accès internet et le téléphone, et d'autre part la télévision. Résultat: la taxe ne s'applique plus qu'à la partie télévision, optionnelle et surtout vendue très peu cher (1,99 euro).

Ce contournement a rendu furieux le CNC, mais aussi les autres opérateurs télécoms, mécontents de continuer à payer la taxe. Le CNC a donc voulu modifier la taxe, afin d'empêcher le contournement de Free. En pratique, le CNC a proposé que la taxe s'applique désormais à tous les accès internet -il a ainsi élargi l'assiette de la taxe.

Clash évité de justesse

Cette nouvelle mouture a été soumise pour approbation à Bruxelles le 26 octobre 2011. Mais cela n'a pas du tout plu à la Commission européenne, qui, avant l'été, a même menacé Paris de lancer une enquête approfondie sur le sujet.

Le problème est que, selon la Commission, taxer l'activité des opérateurs télécoms en tant que telle est contraire aux directives. Au nom de ce principe, Bruxelles s'est opposé à ce que Paris taxe les opérateurs télécoms pour financer France Télévisions, et a renvoyé la France devant la Cour de justice européenne à ce sujet.

Bruxelles admet uniquement une taxe CNC qui porte sur la fourniture "effective" de télévision sur internet. C'est ce qu'a répété le 9 juillet la commissaire européenne Neelie Kroes à la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, venue plaider la cause de cette taxe.

Pourtant, ce risque avait été identifié très tôt par la direction juridique de Bercy: "Il semblerait prudent d'éviter l’adoption de toute nouvelle taxe portant sur le chiffre d’affaires des seuls opérateurs télécoms tant que la Cour de justice européenne n’aura pas rendu son arrêt", déclarait-elle à l'Inspection des finances il y a un an.

Finalement, Paris a donc jeté son texte à la corbeille et remanié une fois de plus l'assiette de sa taxe afin de passer sous les fourches caudines de Bruxelles. Concrètement, la nouvelle taxe devrait porter a minima sur les accès internet recevant la télévision sur ADSL. Eventuellement, elle pourrait aussi porter sur d'autres accès internet, à condition que Bruxelles soit d'accord.

Bref, Paris revient finalement assez près du point de départ. Et Free reste en embuscade pour essayer de trouver une nouvelle parade à cette nouvelle taxe... "Moins la taxe est large, plus cela ouvre la porte à des contournements", résume un expert.

Free ne paie plus mais reste dans la légalité

Le casse-tête est d'autant plus compliqué que le contournement de Free apparaît parfaitement légal. "La stratégie de Free est favorable aux consommateurs et conforme au droit de la concurrence", selon la direction de la concurrence et de la consommation de Bercy (DGCCRF). "Le repositionnement de Free est conforme aux dispositions législatives actuelles. L’issue d’une procédure d’abus de droit en matière fiscale paraît incertaine et longue", abonde un rapport confidentiel de l'Inspection générale des finances (IGF) datant du printemps 2011.

Interrogé, le CNC répond que la taxe sur les opérateurs télécoms "s’inscrit parfaitement dans la continuité des principes qui sous-tendent le financement du CNC depuis en 1948". Ainsi, les opérateurs télécoms "tirent profit de la diffusion de contenus". En effet, la TV "a représenté un produit d’appel et de différenciation, et occupe désormais une place centrale dans leur stratégie commerciale. Une récente étude de l’Idate montre que la vidéo représente 90% du trafic sur l'internet fixe. Le rapport de l'IGF a reconnu que la contribution des opérateurs télécoms au CNC était tout à fait légitime. Le CNC a d’ailleurs toujours défendu l’idée que cette contribution devait être proportionnée".

Le titre de l'encadré ici

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Les critiques de l'Inspection des finances

Le rapport confidentiel de l'IGF critique même le principe de la taxe sur les opérateurs télécoms: "Il est nécessaire qu'il y ait un lien entre l’assiette de la taxe et sa destination. Or, les télécoms sont devenus des contributeurs importants, alors qu’ils sont aujourd’hui les acteurs dont le lien avec l’œuvre est le plus distendu... L’acceptation de cette imposition s’en trouve fragilisée".

Le rapport pointe des "incohérences": "Le taux appliqué aux télécoms est supérieur à celui appliqué à la diffusion sur support vidéo (2%)". Ou encore: "SFR souligne que le montant de sa contribution au CNC en 2010 dépasse celle de Canal Plus, élément contre intuitif...". Bref, cette taxe "mérite d’être contenue", selon l'IGF, qui proposait différents scénarios de baisse. Mais le gouvernement n'a pas suivi ce conseil: le produit de la taxe est resté stable en 2011 par rapport à 2010.

Jamal Henni