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Sur internet, France Télévisions fait du neuf avec du vieux

Bruno Patino, directeur général délégué au numérique de France Télévisions, a tout misé sur l'info

Bruno Patino, directeur général délégué au numérique de France Télévisions, a tout misé sur l'info - Crédits photo : nom de l'auteur / SOURCE

Dernier volet de notre enquête sur la stratégie web des chaînes publiques. Le service public se veut à la pointe de l'innovation. En réalité, bien des services innovants lancés ces dernières années ne sont que le revamping de services existants...

Depuis fin 2010, France Télévisions s'offre un coûteux stand au salon Le Web pour exposer ses dernières innovations -c'est d'ailleurs la seule chaîne de télévision à le faire.

Lors de la dernière édition du salon intervenait Xavier Niel. A la fin de son discours, Eric Scherer, directeur de la prospective de France Télévisions, s'approche de lui, et, ne doutant de rien, lui propose: "voulez-vous venir sur notre stand? Nous vous montrerons la 5G". Le fondateur de Free déclina l'invitation avec une pirouette...

L'anecdote est révélatrice de la stratégie adoptée par les chaînes publiques depuis 2010 sous la houlette de Bruno Patino: apparaître comme un groupe innovant sur le web.

"Les médias français ont trop souvent été à la traîne en termes d'innovation par rapport aux groupes américains, mais cela leur fait perdre du terrain. Nous voulons être à la pointe de l'innovation pour rester dans la course. Bien sûr, cela implique une certaine prise de risque", justifie le directeur des Editions Numériques, Laurent Frisch.

Faire du neuf avec du vieux

Mais cette innovation est bien souvent en trompe l'oeil. "On fait du neuf avec du vieux", confie un salarié arrivé dans les bagages de Bruno Patino. Traduction: beaucoup de services lancés depuis 2010 et présentés comme des innovations ne sont en réalité que le revamping de services déjà existants.

Prenons par exemple Salto, qui permet de revenir au début d'un programme en cours. "En juillet 2012, un grand saut dans l’innovation avec Salto. France Télévisions invente le retour au début du programme en un clic", assure ainsi une plaquette du groupe.

Mais en réalité, cette fonctionnalité avait été lancé sur le web dès juin 2009 pour Roland Garros, puis généralisé à tous les événements sportifs et évenements en direct: Jeux Olympiques, tournoi des 6 Nations, championnats du monde divers, 14 juillet, soirées électorales…

Autre exemple: "la nouvelle plate-forme éducation lancée en novembre 2012" n'est qu'une nouvelle version d'un service lancé en février 2008, Curiosphere.

Les chaînes publiques parlent aussi du "lancement de Culturebox intervenu en juin 2013", oubliant que le service du même nom a été lancé en octobre 2008...

Une audience dopée par des vases communicants

En revanche, tout le monde reconnaît que francetvinfo.fr, lancé en novembre 2011, a apporté une certaine innovation.

Mais, là, ce sont les chiffres d'audiences triomphants du site d'information qui sont sujets à caution. Ainsi, pour le mois de décembre 2013, les chaînes publiques revendiquent 5,3 millions de visiteurs uniques pour leur "offre d’information en ligne". Mais, selon Médiamétrie, l'audience de francetvinfo.fr ne s'élevait ce mois-là qu'à 3,4 millions de visiteurs uniques.

D'où vient la différence? La réponse n'est pas dans le communiqué. En réalité, pour ariver à 5,3 millions, il faut inclure les sites d’information régionaux et ultra-marins, un site culturel et un site sur la géopolitique.

Mais ce n'est pas tout. L'audience de francetvinfo.fr a aussi été dopée par un système de vases communicants. Toute une série de contenus ont migré vers francetvinfo.fr: le site culturel, et surtout les journaux télévisés. En pratique, le JT de France 2 était auparavant sur le site de France 2, et est maintenant uniquement disponible au sein de francetvinfo.fr.

"Ce transfert a été fait dans l'intérêt de l'internaute et afin de suivre ses usages. La place logique de l'information qui vient de l'antenne est dans francetvinfo.fr", répond Laurent Frisch.

Objectif non tenu

Grâce à tout cela, l'audience de francetvinfo.fr a progressé, mais là encore, les chiffres sont en trompe l'oeil. Car il faut aussi se souvenir qu'avant le lancement de francetvinfo.fr, un site d'information existait déjà, et rassemblait 2,9 millions de visiteurs uniques le mois précédent le lancement...

De même, l'application info pour mobile n'était que la mise à jour de l'ancienne application France Télévisions, qui avait déjà été téléchargée 800.000 fois. Résultat: l'objectif d'un million de téléchargements pour l'application info en un mois et demi a donc été atteint très facilement...

Un autre objectif donné lors du lancement en novembre 2011 n'a pas été atteint. Le service ambitionnait d'être dans le top 5 des sites d'info sur mobile, mais, en janvier, il n'est que 10ème, derrière Metronews de TF1 (7ème).

En revanche, francetvinfo.fr voulait être dans les 7 premiers sites d'informations sur internet fixe, il y est enfin arrivé en janvier 2014: il est au 6ème rang.

NB: bfmtv.com est un concurrent de francetvinfo.fr

Mise à jour: à l'occasion d'une conférence de presse jeudi 20 mars, France Télévisions a lancé une version pour TV connectée de son site d'information, décrit comme "la première chaîne d'information à la demande: le dispositif le plus innovant sur TV connectée jamais initié par un groupe audiovisuel en France et à l'international".

Le titre de l'encadré ici

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La secte Patino

En interne, Bruno Patino répète: "on dit que j’ai une secte, mais c’est faux". En réalité, le directeur général délégué au numérique a fait venir huit cadres qui ont travaillé auparavant avec lui au Monde: Yann Chapellon, Boris Razon, Thibaud Vuitton, Célia Mériguet, Stéphane Mazzorato, Olivier Lendresse, Elodie Buronfosse, et Pierre-Nicolas Dessus. Il a aussi fait venir comme consultant Jean-François Fogel, qui a écrit deux livres avec lui.

En outre, Bruno Patino a aussi recruté cinq personnes qui enseignent (ou ont enseigné) à l'école de journalisme de Sciences-Po Paris, qu'il dirige en parallèle: Eric Scherer, Thibaud Vuitton, Stéphane Mazzorato, Erwan Gaucher et Emmanuelle Defaud (repartie depuis à l'Express).

Jamal Henni