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France Télévisions: le contenu du rapport accablant du CSA

La loi impose au CSA de publier un "avis motivé" au bout de quatre ans de mandat du PDG

La loi impose au CSA de publier un "avis motivé" au bout de quatre ans de mandat du PDG - Patrick Kovarick AFP

BFM Business publie l'intégralité du projet de rapport du gendarme de l'audiovisuel sur les chaînes publiques. Un rapport pas totalement négatif, mais dont les critiques sont toutes solidement étayées.

Mardi 4 novembre, BFM Business a publié les bonnes feuilles du projet de rapport du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) sur France Télévisions.

Les chaînes publiques ont alors réagi très vivement, France Télévisions affirmant "ne pas pouvoir croire qu'il s'agit du rapport du CSA, tant ce texte fait montre d'une méconnaissance du secteur et de l'entreprise, voire d'une ingérence éditoriale". Le PDG Rémy Pflimlin déclare même "avoir demandé un démenti" au CSA. 

Face à ce tollé, l'approbation de ce rapport par le collège du CSA, initialement prévue mercredi 5 novembre, a été reportée sine die, et le gendarme de l'audiovisuel ne s'aventure plus à donner la moindre date.

Reste que ce projet de rapport existe bel et bien, et BFM Business a décidé de le publier en intégralité (à lire ci-dessous).

Cela permet de constater que le rapport n'est pas uniquement à charge: il souligne plusieurs points positifs dans le bilan de Rémy Pflimlin. Mais il contient aussi critiques, qui sont difficilement contestables car solidement étayées par des faits, des chiffres, etc.

Et le gendarme de l'audiovisuel n'est pas le seul à faire cette analyse. "Nous sommes nombreux, au sein du conseil d'administration de France Télévisions, à être d'accord avec les principaux constats de ce projet de rapport", confie un administrateur.

Revue des cinq grands thèmes abordés.

1-l'effectif

Le projet de rapport critique vivement le renouvellement quasi-intégral de l'état major. "Lorsque M. Pflimlin a pris ses fonctions, 40 recrutements externes ont été effectués. Le coût de ces recrutements, auquel il convenait d’ajouter le coût lié au versement des indemnités de licenciement de 23 cadres de haut niveau, a été estimé à environ 10 millions d’euros. Ce renouvellement massif est pour le moins excessif. En outre, cette décision a conduit à la création de 16 postes pour un surcoût annuel de l’ordre de 2 millions d’euros".

Plus globalement, le texte déplore que les effectifs aient continué à augmenter jusqu'en 2012, alors "qu'on attendait une diminution" grâce à la mise en place d'une entreprise unique. Notamment, les deux premiers plans de départs volontaires ont été des "échecs", car ils "ont en réalité conduit à une augmentation des effectifs...." Pire: "une part importante de ces recrutements a été effectuée dans les antennes régionales de France 3, qui rassemblaient pourtant déjà plus de 3.400 personnes". Toutefois, le rapport souligne que l'effectif baisse enfin depuis 2013.

2-l'état major

Enfin, le pré-rapport critique vivement "la réorganisation incessante" et "l'instabilité" du management, "particulièrement préjudiciables à la clarté des lignes éditoriales et aux processus de décision".

En effet, Rémy Pflimlin a remercié successivement quatre directeurs des programmes de France 2, et trois sur France 3.

Surtout, Remy Pflimlin a récréé des directions de chaînes à son arrivée, pour les supprimer trois ans après. Le rapport pointe donc "une hésitation" entre centralisation et décentralisation. 

Pire: Rémy Pflimlin a mis en place un organigramme à plusieurs dimensions, où chaque dirigeant a simultanément plusieurs casquettes. "L'articulation des rôles est assez difficiles à comprendre", et "la compréhension de la répartition des fonctions relève du tour de forces", regrette le rapport, qui cite des exemples ubuesques, où une même personne est l'égal hiérarchique d'une autre, tout en étant simultanément son supérieur... 

3-l'audience

Dans ce texte; le CSA se dit "inquiet" de la baisse des audiences, et "surtout préoccupé" par son vieillissemment. En effet, l'âge des spectateurs du service public, qui était déjà le plus élevé du PAF, a encore augmenté sous Rémy Pflimlin (lire ci-dessous). Pourtant, ce dernier s'était fixé comme objectif de rajeunir les audiences, notamment celle de France 2, qu'il voulait abaisser à 45 ans... "France 3 est la chaîne dont l'auditoire a le plus vieilli avec M6", déplore le texte, qui rappelle que la chaîne des régions "a perdu en 2011 sa place de troisième chaîne de France au profit de M6". 

Un peu paradoxalement, le projet de rapport reproche aussi au service public de se préoccuper trop de son audience. En particulier, il estime que la suppression de la publicité en soirée a été "une occasion manquée". En effet, "la liberté retrouvée à l'égard de la pression publicitaire devait conduire à des programmations exigeantes". Or, en pratique, les programmes culturels sont "trop confidentiels". Et, en matière de fiction, "la grande frilosité des choix paraît s'expliquer par un manque d'audace lié à la crainte d'une contre-performance d'audience", ce qui "paraît désolant". 

Le texte déplore aussi que l'équipe actuelle ait introduit la télé-réalité et la scripted reality sur le service public "pour tenter de rajeunir quelque peu son audience". Notamment, France 2 "a semblé dupliquer les formats de ses principales concurrentes privées. Il est nécessaire de s'interroger sur la nécessité de programmer des concours culinaires (Qui sera le prochain grand pâtissier ?), d'ores et déjà très présents sur TF1 et M6".

Le journal de 20 heures de France 2 n'échappe pas à ce travers, avec "la multiplication des sujets de société au contenu parfois anecdotique, ce qui permet peut-être un gain d'audience" -même si cette tendance se corrige un peu depuis la rentrée.

4-les programmes

Le projet de rapport pointe "l'insuffisant renouvellement" des programmes, et notamment "la stabilité voire un certain l'immobilisme" sur France 3 et France 5. Un peu cruellement, il rappelle que certains programmes sont à l'antenne depuis une éternité: les Z'amours depuis 1995, Motus depuis 1990, Questions pour un champion depuis 1988, sans parler Des chiffres et des lettres, "le plus ancien jeu télévisé français..." 

Hélas, les quelques innovations tentées par l'équipe actuelle ne trouvent pas non plus grâce aux yeux du CSA. Par exemple, les différentes tentatives menées en access prime time sur France 2: "cette forte instabilité, préoccupante sur une tranche horaire stratégique et indispensable pour le financement, constitue sans nul doute un échec de cette mandature".

Quant au Grand Soir 3, il "n'a rencontré ni son public, ni fait la démonstration d'un traitement spécifique de l'information".

Ou encore le récent repositionnement de France 4, qui cible désormais les enfants en journée, puis les jeunes adultes en soirée: "la ligne éditoriale est ambivalente, et le contrat pour les téléspectateurs peu lisible". La volonté d'innovation de France 4 est louée, mais peut créer un ghetto: "ce choix a conduit les autres chaînes à s'interdire toute forme d'innovation. Le problème est d'autant plus sévère que l'audience de France 4 reste particulièrement faible, avec en moyenne 50.000 spectateurs en soirée, chiffre comparable à celui d'un site web."

Enfin, le rapport pointe "un problème d'harmonisation" entre France 2 et France 3, car la Deux a mis à l'antenne moult émissions qui avaient leur place sur la Trois: Secrets d'histoire, La région préférée des Français, Le jardin préféré des Français, Vos objets ont une histoire...

5-le numérique

Le rapport se félicite de "l'important rattrapage", et de la hausse des audiences sur le web. Il salue le site Studio 4.0, qui propose des contenus expérimentaux. Mais "France Télévisions ne communique pas sur le nombre de visiteurs de Studio 4.0, dont la fréquentation reste confidentielle".

Surtout, "la question de la rentabilité doit être posée", les dépenses explosant alors que "les recettes stagnent". Notamment, "la part du coût des sites pris en charge par des sociétés extérieures reste très opaque". 

Jamal Henni